Musulmans de France entre surveillance et diabolisation

Aujourd’hui en France et en Europe, l’islamophobie s’amplifie de manière alarmante. Chaque jour, nous avons droit à des propos et des agressions islamophobes, nombre de politiciens assument une islamophobie décomplexée. L’islam et les musulmans de France constituent, désormais, une prétendue menace implicite à l’unité de la nation à tel point que des gamins de huit ans ont été convoqués au commissariat pour apologie du terrorisme. Et avant  chaque  élection, les musulmans se retrouvent au cœur des crispations et des débats passionnels.

A chaque acte terroriste, à chaque prise d’otage, les musulmans de France sont sommés de se justifier, ou encore de s’excuser face à des actes odieux. Le musulman est présenté comme étant l’éternel problème, l’éternel « inintégrable ». Le taux de francité dans ses veines ne donne pas entière satisfaction aux yeux des architectes du pouvoir. Il serait, donc « l’ennemi intérieur »[1] ; la cinquième colonne[2] ; le candidat idéal de la politique du bouc émissaire, celui qui est à l’origine de tous les maux, de toutes les carences, de tous les défauts de la société  française. C’est une violence institutionnelle, une politique de l’humiliation qui exacerbe les identités et qui ne peut engendrer que la haine, la violence et l’extrémisme. Selon la formule de Tsvetan Todorov « La violence appelle la violence, l’humiliation appelle le fanatisme ».

L’islam, un réel problème

La théorie du «  choc de civilisation »  opposant « l’occident des lumières » face à « l’islam de tous les obscurantismes » continue encore de peser sur les débats et d’imprimer les mentalités. Ainsi l’islam est essentialisé, il serait donc  par nature, violent, fanatique, générateur de  terrorisme et par conséquent, incompatible avec les valeurs de la République.

Parallèlement, l’image de l’islam  est ternie, c’est le moins que l’on puisse dire. Les attentas en Europe, la menace terroriste, Daesh et ses crimes contre l’humanité sont présentés comme intrinsèque à l’islam. Celui-ci serait un frein à l’émancipation des femmes musulmanes, au développement des pays musulmans. Une religion archaïque dont il faudrait se défaire pour sortir du sous-développement et rattraper le retard accumulé depuis des lustres.

Un islam officiel

La création, par les pouvoirs publics, du Conseil Français du Culte Musulman, durant le mois d’avril 2003, avait pour objectif de créer une sorte d’islam officiel et de réaliser un contrôle de la communauté aussi bien sur le plan spirituel que sur le plan matériel.

Aujourd’hui, le CFCM est à l’agonie et son bilan est plus que médiocre. L’élection de ses membres s’était déroulée dans l’indifférence générale des musulmans car les élus de l’Islam de France n’étaient, finalement, que les représentants du nombre de mètres carrés des mosquées. Un autre point lié au scrutin du CFCM, est la présence de listes entièrement inféodées aux pays d’origine tel le Maroc, l’Algérie et la Turquie. Autrement dit, l’Etat français sous-traite la gestion de l’islam de France aux pays  d’origine.

Il faut refuser de toute son énergie, la mainmise, l’ingérence et la surveillance. L’islam est devenu un instrument, utilisé par les pouvoirs publics comme politique de diversion afin de rassembler autour de la peur et du tout sécuritaire. Une stratégie consciente ayant pour objectif  de cacher les réels  problèmes de notre société.

Dans ses relations avec l’islam, la France a toujours maintenue une gestion coloniale, en utilisant certaines organisations musulmanes, certains imams, comme courroie de transmission et comme moyen pour dompter les populations en révolte et lutter contre toute tentative d’émancipation. Lors de la révolte des banlieues en 2005. Une fatwa sur mesure a été  concoctée pour appeler au calme. Une confessionnalisation  des problèmes sociaux, qui renvoyait à l’idée que si la banlieue s’enflamme s’est parce qu’elle est un terreau de l’islamisme, et que les jeunes se révoltent avant tout à cause de leur islamité. Parallèlement, cela évite de désigner  la politique sociale du gouvernement associée au racisme, aux discriminations au quotidien comme cause de révolte.

Edward W. Said relève avec finesse dans son célèbre livre L’orientalisme : « Quand il devint pour Bonaparte que sa force était insuffisante pour s’imposer  d’elle-même aux Egyptiens, il essaya de faire interpréter le Coran en faveur de la Grande Armée par les imams, cadis, muftis et ulémas locaux. Dans ce but, les soixante ulémas qui enseignaient à l’Azhar furent inviter à son quartier général, tous les honneurs militaires leur furent rendus, (…) Cela réussit, et il semble que toute la population du Caire ne tarda pas à perdre sa méfiance à l’égard des occupants. »[3].

S’auto-définir pour mieux agir :

Désormais, les stéréotypes et les clichés négatifs ne disparaîtront pas de sitôt. Au lieu d’être dans la plainte ou d’adopter une attitude de victimisation, ou d’être sur la défensive, ou d’avoir toujours à se justifier, il faut avoir confiance en soi, en sa foi, en ses convictions. Ne plus se définir par autrui, mais s’auto-définir. Cesser « d’être des sujets parlés pour devenir des sujets parlants »[4].

Le musulman, l’oriental, comme l’affirme, si bien, Edward W. Said : « Si l’on reconnaît que l’orientaliste avance comme argument contre l’oriental une différence encore plus implicite et puissante : le premier écrit, tandis que le second est décrit. A ce dernier, on attribue un rôle passif ; au premier, le pouvoir d’observer, d’étudier, etc. »[5]

Jacques Berque, l’a souligné très justement : « L’islam pâtit dans l’opinion mondiale  d’un discrédit qu’il ne partage ni avec le Japon, plus redouté que réprouvé, (…). Le musulman, lui demeure l’éternel Sarrazin rendu encore plus dangereux par une modernité à laquelle il n’accèderait que pour le pire »[6].

L’ignorance la plus dévastatrice est celle que l’on a de sa propre identité. Aujourd’hui, il est important de reprendre confiance en soi, en son histoire, en ses valeurs. En effet, connaître son histoire est primordial pour reconstruire son identité, pour façonner sa personnalité et pour préserver sa conscience éveillée. Mehdi ElMandjra souligne l’importance de se définir pour envisager l’avenir avec courage et détermination : « J’estime que le grand défi est de se définir soi-même, dans l’environnement où on évolue. Or l’identité n’a pas de valeur  lorsqu’elle se trouve dans un espace où l’on manque de liberté et de pluralisme. (…) Si nous n’avons pas de passé, de référence, ni de vision d’avenir, ni encore de liberté, on ne peut prétendre avoir un futur viable »[7].

Les musulmans de France portent une lourde responsabilité, celle de promouvoir leur présence et de penser leur contribution spirituelle. Aujourd’hui, il faut être présent, être conscients des défis à relever, témoigner et rayonner de sa foi. S’affirmer et participer ce n’est pas la négation de soi mais agir en harmonie avec son identité. Il s’agit de sortir de  cette description caricaturée, de se penser et de s’affirmer par ce que l’on est c’est à dire une partie prenante de cette société, des citoyens musulmans.

 

Le « vivre citoyen »  plutôt que le « vivre ensemble » ou comment faire société ?

La citoyenneté des musulmans de France est systématiquement mise cause et leur adhésion aux valeurs de la République reste à prouver. Pour être reconnu comme citoyen à part entière, il faudrait ne rien exprimer de sa foi et devenir religieusement invisible, effacer tous signes particuliers, se dépouiller de toute spécificité.

On ne peut pas faire société si les vieux réflexes coloniaux persistent, si on considère les citoyens de confession musulmane comme des citoyens de seconde zone ou plus gravement comme des terroristes potentiels à l’avant garde d’une future invasion. Tout ce climat de suspicion favorisera un repli identitaire qui a défaut d’épanouir et de développer une authentique citoyenneté, mènera aux extrémismes et au communautarisme.

Faire société, c’est désormais redonner à chacun confiance en lui-même, avoir confiance en l’autre et avoir confiance dans un cadre collectif où nous pourrons construire ensemble, participer à l’évolution de notre société dont nous sommes membres à part entière, collaborer au nom des valeurs communes à une situation meilleure. Pour cela, il faut promouvoir  le « vivre citoyen » et non seulement le « vivre ensemble », car ce dernier implique une simple tolérance et non le respect de l’autre et de son identité.  Le « vivre citoyen » c’est vivre une  citoyenneté égalitaire, plus épanouie fondée sur le respect mutuel, la justice sociale et la reconnaissance de l’égale dignité des personnes.

Les citoyens musulmans engagés ont pris conscience de l’ampleur des défis à relever, qui sont à la mesure de l’exigence de leur foi. Avoir un discours clair et audible, dénoncer les injustices, se démarquer de toutes les lectures qui légitiment la violence,  refuser une société qui stigmatise, qui monte les citoyens les uns contre les autres. Et enfin, contribuer à l’essor de notre société en posant la question de la spiritualité, des valeurs et de la dignité humaine.

 

[1] Titre de l’ouvrage de Mathieu Rigouste : « l’ennemi intérieur : la généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine », éd. La découverte.

[2] La «cinquième colonne», formule utilisée par Chrisian Estrosi député-maire UMP de Nice,  est un mythe politique récurrent dans l’imaginaire complotiste. L’expression désigne un traître embusqué à l’intérieur d’un pays ou d’une armée, prêt à se réveiller pour prendre à revers lors d’une attaque extérieure. http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/04/27/01016-20150427ARTFIG00143-d-o-vient-l-expression-cinquieme-colonne-employee-par-estrosi.php

[3] L’orientalisme, ed. du seuil, p. 101.

[4] Phrase prononcée par le sociologue Saïd Bouamama, lors d’un meeting du collectif « une école pour tous et toutes et contre les lois d’exclusion ».

[5] L’orientalisme, L’Orient créé par l’Occident, Edward W. Said, éd. Du Seuil, p. 339.

[6] Jacques Berque « Quel islam ? » , Le Temps stratégique, n° 64, juin 1995, p 8.

[7] Mehdi ElMandjra, Humiliation, à l’ère du méga-impérialisme, 3e ed. imprimerie Ennajah El Jadida, Casablanca, 2003, p. 77, 78.

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