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L’héritage dans le Coran : Loi divine, Droit des hommes, ou droits des femmes ? 1/2 – La wasyya ou legs testamentaire-
Par Dr Al ’Ajamî
Une fois l’an, l’imam de mon quartier, ancien avocat et homme tranquille, fait trembler le minbar de la mosquée. Comment des musulmans osent-ils contourner la « Loi de Dieu » et donner de leur vivant à leurs filles une part de leurs biens afin qu’elles « héritent » dans les faits de autant que leurs frères… Détournement de la « Loi divine » qui les expose à la vindicte des imams et des ulémas et, à ne pas en douter, à la colère de Dieu. La messe est dite, si j’ose dire.
• Nous allons réserver trois articles à cette question, non pas tant que nous considérions qu’elle soit centrale en islam, mais à titre d’illustration concrète des trois volets précédents consacrés à la “réforme islamique” avec, encore une fois, autant de précision que de précaution quant au recours par défaut au terme « réforme ».
Parallèlement, cette étude s’inscrit dans le droit fil de nos recherches exégétiques antérieurement présentées et relatives aux principes coraniques de justice et d’égalité entre les hommes et des femmes.[1]
• Comprendre la problématique de l’héritage en islam nécessite de retourner au Coran. Plus encore que de principe, puisqu’ici l’héritage est revendiqué par la sharia comme une « loi divine » et que ladite « Loi » est par définition obligatoirement inscrite dans le texte coranique. Incontestablement, une quinzaine de versets concernent le devenir des biens laissés par le défunt et ils sont réputés englober la totalité de la thématique.[2] Nous en étudierons l’essentiel selon l’ordre chronologique et en fonction de leurs propos respectifs.
• Tout d’abord, une analyse générale du sujet établit aisément que le Coran traite en réalité la problématique selon trois modalités qu’il convient donc préalablement à toute lecture de distinguer avec rigueur. La terminologie le permet, et trois termes clef sont à noter, tous ayant d’ailleurs leurs correspondants en Droit français :
· wasyya : le legs testamentaire, les biens sont librement répartis par testament.
· ‘atyya : donation, les biens sont librement attribués par le donateur de son vivant.
· warth : l’héritage, les biens du défunt sont transmis par succession établie selon la loi.
Première constatation : du fait de la présence de trois approches distinctes, parler de « l’héritage dans le Coran » est soit une généralisation abusive, soit un abord sélectif. Cet article étudiera les deux premiers points, pour l’essentiel l’importance de la wasyya ou legs testamentaire dans le Coran. Le prochain sera consacré à l’héritage proprement dit.
Bien évidemment, nous ne chercherons pas à établir des parallèles ou des voies de passage entre un énoncé coranique supposé archaïsant et une modernité prise comme référant. Cela n’est ni notre conviction, ni notre méthodologie, faudrait-il que nous eussions encore à le rappeler.
L’exposé à suivre est simple, il propose à qui veut nouer cette relation au Texte une lecture directe et strictement littérale des versets du Coran. Ce faisant, apparaîtra par contraste par quels artifices exégétiques il a été classiquement procédé à un détournement du sens coranique. Enfin, il nous faudra porter une attention toute particulière en cette analyse à la distinction des termes legs testamentaire et héritage, deux dispositions coraniques distinctes ci-dessus mentionnées, et veiller par conséquent à ne pas confondre legs ou testament et héritage.
I LA WASYYA OU LEGS TESTAMENTAIRE
Chronologiquement, il s’agit des trois premiers révélés quant au devenir des biens du défunt. Ils sont relatifs à la wasyya, le legs testamentaire, et situés en sourate « La génisse », ils sont donc de la première période médinoise. Premier constat : le Coran a ainsi amorcé son processus d’information et d’éducation en matière de succession par la notion de legs testamentaire et non point par le warth, l’héritage :
كُتِبَ عَلَيْكُمْ إِذَا حَضَرَ أَحَدَكُمُ الْمَوْتُ إِنْ تَرَكَ خَيْرًا الْوَصِيَّةُ لِلْوَالِدَيْنِ وَالْأَقْرَبِينَ بِالْمَعْرُوفِ حَقًّا عَلَى الْمُتَّقِينَ (180) فَمَنْ بَدَّلَهُ بَعْدَمَا سَمِعَهُ فَإِنَّمَا إِثْمُهُ عَلَى الَّذِينَ يُبَدِّلُونَهُ إِنَّ اللَّهَ سَمِيعٌ عَلِيمٌ (181) فَمَنْ خَافَ مِنْ مُوصٍ جَنَفًا أَوْ إِثْمًا فَأَصْلَحَ بَيْنَهُمْ فَلَا إِثْمَ عَلَيْهِ إِنَّ اللَّهَ غَفُورٌ رَحِيمٌ (182)
“ Il vous a été prescrit [kutiba ‘alaykum] – lorsque se présente à l’un de vous la mort et qu’il laisse des biens – le legs testamentaire [wasyya] en faveur des père et mère et des plus proches, convenablement. Ceci est un devoir pour les gens pieux.” V180.
“ Qui l’altérera [ce testament] après l’avoir entendu, vraiment ce péché n’incombe qu’aux falsificateurs. Certes, Dieu entent et sait.” V181.
“ Et qui craint du testateur [mûsi] quelque injustice ou iniquité et les réconcilie, alors pas de péché à cela. Certes, Dieu pardonne et fait miséricorde.” V182.
• Verset 180.
– Le terme clef wasyya signifie legs testamentaire. Cette disposition, existante au demeurant dans le Droit français, permet de transmettre de son vivant des biens librement et dûment quantifiés aux personnes de son choix, que ce soit aux héritiers dits naturels ou à d’autres personnes non nécessairement bénéficiaires de l’héritage prévu par la loi. La racine wasâ indique à l’origine l’idée de réunir une chose à une autre d’où lier les générations par la transmission d’un bien, action nommée wasyya. Ce nom verbal a donc pris comme sens : legs testamentaire, testament, recommandation.
– Il est dit : « kutiba ‘alaykum », compris comme signifiant « il vous a été prescrit » alors que littéralement nous comprendrions : « il a été écrit ». L’emploi particulier de kutiba s’inscrit ici en une série de trois : « Il vous a été prescrit le talion » V178 et « Il vous a été prescrit le jeûne » V183. Ceci laisse peu de doute quant à son sens : il s’agit d’une prescription à caractère obligatoire.
L’on cite régulièrement à ce propos un hadîth prophétique rapporté par al Bukhârî, Muslim et d’autres : « Un musulman qui possède une chose et veut la léguer [yûsî] n’a pas le droit de passer trois nuits sans avoir rédigé son testament [wasyya]. »
Subtilement, ce verset se conclut par ces mots : « Ceci est un devoir pour les gens pieux », l’accomplissement d’une obligation est ainsi subordonné à la piété et une prescription ne devient une obligation qu’en fonction de ladite piété.[3]
– Ce caractère obligatoire du legs [wasyya] a posé problème aux juristes, d’autant plus, nous le verrons, que cet aspect obligatoire est beaucoup moins évident concernant l’héritage légal proprement dit ! Certains durent donc sortir de leur turban exégétique le lapin abrogateur et déclarer ces versets abrogés par ceux relatifs à l’héritage ! Logique ! D1. Tabari, pour ne citer que lui, s’inscrit en faux contre cette affirmation, mais utilisera alors d’autres arguments pour réduire l’importance du legs testamentaire, wasyya. Quant à nous, nous nous sommes déjà exprimé sur l’impossibilité ontologique et textuelle du principe d’abrogation comme sur le respect strict de la lettre coranique[4]
– Au service de la même volonté d’effacement du Texte, signalons un propos attribué à Ibn ‘Abbâs rapporté par al Bukhârî : « Les biens revenaient à l’enfant et le legs était pour le père et la mère. Puis, Dieu a abrogé de cela ce qu’Il souhaita et Il a institué au garçon l’équivalent de la part de deux filles, pour chacun des deux parents le sixième, à la femme le huitième et le quart, et à l’homme la moitié et le quart. »
Le titre de la rubrique où al Bukhârî insère ce texte est en lui-même explicatif : « Pas de legs en faveur de l’héritier ». Conformément à son point de vue de juriste, et de manière fort habile, al Bukhârî a construit l’intitulé de cette section en reprenant mot à mot un hadîth rapporté par Ibn Dâwud et Ibn Hanbal où le Prophète aurait dit : « Pas de legs en faveur de l’hériter » [lâ wasyyata liwârithin]. Mais, plus rigoureusement cette fois-ci, al Bukhârî ne peut y faire figurer les termes de ce hadîth car il ne remplit pas le cahier de charge du sahîh. Il le remplace alors par le propos attribué à Ibn Abbâs cité ci-dessus qui, lui, est réputé sahîh. Cette collusion fonctionne encore en tous les traités de Droit, fiqh, et nul ne doute que le Prophète aurait ainsi déclaré abrogés ces versets du Coran et que la wasyya ne serait qu’une mesure subalterne vis-à-vis de l’héritage ! Ici, donc, double détournement de sens. L’on appréciera tout autant l’élégance du procédé que la subtile volonté de manipulation des sources et des lecteurs, malgré tout l’islam et les musulmans… D2.
En réalité, ce propos n’engage au plus que son auteur, Ibn ‘Abbâs, et non pas le Prophète, et il exploite sans argument ni preuve le principe d’abrogation afin « d’harmoniser » le Coran à ce que le Droit voulut par la suite. A savoir, donner la prépondérance à l’héritage coranique au détriment de la wasyya en affirmant que l’obligation de legs ne vaut que pour ceux qui n’ont pas droit à l’héritage. De facto, nous le constaterons, ce rapport est exactement l’inverse dans le Coran, l’héritage coranique ne concerne que le reliquat des biens non distribués par legs testamentaire, wasyya. D3.
– Le verset 180 énonce : « Il vous a été prescrit – lorsque se présente à l’un de vous la mort et qu’il laisse des biens » et précise alors le procédé et les bénéficiaires possibles : « Il vous a été prescrit… le legs testamentaire [wasyya] en faveur des père et mère et des plus proches ».
Notons que le Coran emploie le duel al wâlidayn, les deux parents, pour désigner comme d’usage le père et la mère. Nombreux sont les exégètes, tel Tabari, et les juristes à avoir affirmé qu’ici le terme wâlidayn devait signifier abâ’u : l’ensemble des parents du coté paternel et du coté maternel à l’exception justement du père et de la mère du testateur ! Cette allégation est linguistiquement erronée et s’oppose à la précision sémantique du Coran qui, utilisant effectivement ces deux termes, ne les confond jamais ! La volonté de détournement textuel est encore une fois manifeste : il s’agit pour ces « interprétateurs » de réduire de force la répartition des legs en fonction des règles de l’héritage et de fournir une légitimation rétrospective aux hadîths ci-dessus mentionnés. D4.
– Le mot al aqrabîn, « des plus proches », désigne la deuxième catégorie de bénéficiaires du legs après les deux parents. Il a été lui aussi l’enjeu de joutes exégétiques. Il qualifie littéralement ce qui est le plus proche sans trop d’exactitude. L’on traduit d’ordinaire cette expression par « proches parents » ce qui a pour défaut de ne pas nécessairement inclure les enfants du défunt. Pour éviter ce sous-entendu non conforme à la lettre coranique, nous avons donc traduit par « les plus proches », forme littérale qui conserve l’imprécision et la globalité voulue de l’original. Par ailleurs, nous trouverons en S4.V8 la locution ûlû-l-qurbâ qui correspond alors selon le contexte évident aux proches, ici sans précision de liens familiaux. Conséquemment, par al aqrabîn, les plus proches, le Coran désigne les proches de la famille, enfants et proches parents inclus. Il convenait donc de distinguer par la traduction ces deux catégories de bénéficiaires comme, encore une fois, de respecter la rigueur sémantique du Coran. D5.
– « et qu’il laisse des biens ». Le texte coranique emploie le singulier « un bien », khairan. Le procédé littéraire est à l’inverse du français où le pluriel « des biens » peut désigner une seule chose, comme une maison ou une propriété. En arabe, le singulier peut englober plusieurs biens matériels exactement comme le singulier mâl représente les numéraires ou les biens. D’aucuns, tel az-Zamakhsharî, ont supposé qu’il fallait que ces biens soient abondants pour tomber sous le coup de l’obligation d’en faire legs par wasyya. Cette affirmation ne repose sur aucun support linguistique ou coranique, mais traduit encore une fois ce que le juridique a voulu par la suite. Nous verrons au sujet de S4.V7-8 que le Coran, au contraire, n’impose aucune limitation à ces legs. D6.
– De nombreuses traductions rendent la locution bi-l- ma‘rûf par : « selon la coutume » ou « de manière reconnue » ou « selon l’usage », ce qui indiquerait qu’il existait déjà une règle connue quant à la répartition des biens. Si tel avait était le sens voulu il n’y aurait eu aucune raison logique pour le Coran à prescrire cette wasyya. Il faut donc comprendre l’expression bi-l- ma‘rûf en fonction de l’étymologie comme signifiant correctement, convenablement, en bien, bon, de belle manière, nous avons traduit par : « convenablement ». Aussi, ce classique discret glissement de sens et de traduction imposé au texte coranique a pour conséquence de réduire la wasyya à une coutume alors même qu’il s’agit d’une prescription importante et principale du Coran. D7.
– Au final, le sens obvie littéral de ce verset est parfaitement explicite et se suffit à lui-même. Lorsqu’un texte est sémantiquement complet et non équivoque, toute extrapolation est dépassement. En ce verset, il est prescrit à tout musulman de léguer par testament, wasyya, dès lors qu’il possède quelques biens, une part librement déterminée de ses biens à ses deux parents [s’ils sont encore en vie s’entend] ainsi qu’à ses plus proches, c’est-à-dire ses enfants et autres proches parents.
• Verset 181.
Il indique que le testament a ici une forme orale : « qui altérera [ce testament] après l’avoir entendu ». Une révélation chronologiquement postérieure, en S5.V106-108, insistera sur le fait de s’assurer de la présence de deux témoins et de leur honorabilité lorsque le testateur dicte son testament. En ces versets, un doute littéral persiste quant à savoir si cette dictée est écrite ou purement orale. Ceci a pour avantage de valider sans problème ces deux formes testamentaires et de permettre une adaptation évolutive.
• Verset 182.
« Et qui craint du testateur [mûsi] quelque injustice ou iniquité et les réconcilie, alors pas de péché à cela. » Ce verset n’indique pas la possibilité de modifier post-mortem les dispositions du testament. Le segment « et les réconcilie » concerne des bénéficiaires, ou des non-bénéficiaires, qui se seraient estimés lésés par les dispositions du testateur. Il est ainsi stipulé que l’on puisse rechercher entre eux un accord à l’amiable, sans plus de précision. Le texte en apparence ne dirait pas si cette réconciliation est purement d’ordre relationnel ou comprend des arrangements quant aux biens échus entre les destinataires. Toutefois, la locution complémentaire « alors pas de péché à cela », litt. « alors pas de péché sur lui » n’aurait aucune raison d’être s’il ne s’agissait que de régler des différents relationnels, car cela n’a jamais été un péché, bien au contraire. Par conséquent, cette remarque vaut pour le fait de rééquilibrer par conciliation la répartition des biens testés entre les bénéficiaires s’estimant lésés. Ces réarrangements post-mortem ne sont donc pas considérés comme équivalent à une modification volontaire du testament, altérations condamnées au verset 181. C’est la recherche du bien de tous qui doit ici servir de guide : « Ceci est un devoir pour les gens pieux » et « Dieu pardonne et fait miséricorde ».
– Un hadîth bien connu et abondamment exploité vise à réduire la quantité de biens susceptibles d’être légués. Il est rapporté notamment par al Bukhârî. En ce récit un peu long, Abû Waqqâs demanda au Prophète : « Puis-je léguer les deux tiers de mes biens ? – Il répondit : non. – Je dis : la moitié ? – Non. – Il dit : le tiers, et le tiers c’est beaucoup… » Manifestement, nous aurions là un cas de spécification par le Prophète du cas général énoncé par le Coran, une réduction de la wasyya. Si l’on pourrait admettre que le Prophète pût spécifier des cas généraux coraniques, nous ne devons pas confondre spécification et restriction. L’on peut spécifier des éléments non explicitement mentionnés, mais non restreindre ce qui a été explicitement non limité. En effet, d’une part, les versets que nous avons mentionnés n’indiquaient effectivement aucune limitation et, d’autre part, nous trouvons confirmation en un autre passage du fait que le Coran n’envisage pas que puisse être considéré un système de limitation, même théorique, en matière d’attribution de la wasyya.
وَالَّذِينَ يُتَوَفَّوْنَ مِنْكُمْ وَيَذَرُونَ أَزْوَاجًا وَصِيَّةً لِأَزْوَاجِهِمْ مَتَاعًا إِلَى الْحَوْلِ غَيْرَ إِخْرَاجٍ فَإِنْ خَرَجْنَ فَلَا جُنَاحَ عَلَيْكُمْ فِي مَا فَعَلْنَ فِي أَنْفُسِهِنَّ مِنْ مَعْرُوفٍ وَاللَّهُ عَزِيزٌ حَكِيمٌ (240)
“ Ceux d’entre vous dont la fin est proche et qui laisseraient des épouses, alors qu’ils fassent un legs testamentaire [wasyya] en faveur de leurs conjointes : de quoi subvenir une année, sans expulsion…” S2.V240.
– Chronologiquement, ce verset fait partie du groupe relatif à la wasyya dont il constitue un cas appliqué. Concrètement, lorsque le défunt n’est pas très riche il peut arriver régulièrement que cette provision de un an dépasse largement le tiers des biens, il n’est donc pas possible d’instituer un plafonnement de la wasyya. Ce constat coranique s’oppose directement et clairement à ce que soutient le hadîth ci-dessus évoqué. Il n’est donc pas cohérent d’admettre que ce propos ait pu être prononcé par le Prophète, le hadîth fût-il techniquement authentifié, sahîh. D8.
Notons qu’une telle mesure vise à assurer une vie décente à la veuve, c’est dire aussi qu’il faille lui laisser une autonomie financière. Dans le contexte de vie et de survie de l’époque cela signifiait lui permettre de ne point être dans l’obligation de se remarier par nécessité. Il s’agit bien d’un legs sans notion de part ou de quotité. La veuve est ici bénéficiaire hors des cas prévus en sus par l’héritage.[5]
– L’objectif de l’exégèse juridique étant de mettre en avant uniquement l’héritage par quotes-parts au détriment de la prescription coranique de la wasyya, il fut décidé d’élimer ce verset des tablettes et par là même de légitimer rétrospectivement la fausse preuve prophétique de limitation au tiers des biens pour la wasyya, deux précautions valent mieux qu’une. Il fut donc déclaré par certains que ce verset était abrogé en vertu de S2.V234 qui fixe le délai de vacuité des veuves à quatre mois et dix jours ! Bien qu’il n’y ait pas vraiment de rapport entre les deux textes de ces versets, l’on sent poindre l’argument : si une veuve peut être épousée après un délai de quatre mois et dix jours, alors pourquoi lui donner un an de vivres ?! On appréciera le réalisme pragmatique… D9.
• Par ailleurs, nous pouvons lire deux versets révélés postérieurement aux précédents :
لِلرِّجَالِ نَصِيبٌ مِمَّا تَرَكَ الْوَالِدَانِ وَالْأَقْرَبُونَ وَلِلنِّسَاءِ نَصِيبٌ مِمَّا تَرَكَ الْوَالِدَانِ وَالْأَقْرَبُونَ مِمَّا قَلَّ مِنْهُ أَوْ كَثُرَ نَصِيبًا مَفْرُوضًا (7) وَإِذَا حَضَرَ الْقِسْمَةَ أُولُو الْقُرْبَى وَالْيَتَامَى وَالْمَسَاكِينُ فَارْزُقُوهُمْ مِنْهُ وَقُولُوا لَهُمْ قَوْلًا مَعْرُوفًا
“ Aux hommes une part [nasîbun] de ce qu’auront laissé père et mère et les plus proches. Aux femmes une part de qu’auront laissé père et mère et les plus proches [al aqrabûn]. De cela, peu ou beaucoup, une part déterminée [mafrûdan]. Et lorsqu’assistent au partage les proches [ûlû-l-qurbâ], les orphelins et les nécessiteux, prélevez-en pour eux et tenez leur propos convenable.” S4.V7-8.
– Une difficulté : comment déterminer le sujet traité en ces deux versets ? Dans le contexte court (nous sommes au début de S4), trois hypothèses sont envisageables :
1. Il s’agit de la restitution et de la distribution de leurs biens aux orphelins, thème principal depuis le début de la sourate, restitution stipulée au verset 6 et dont il sera encore question au verset 10.
2. Il s’agit d’une allusion aux parts de l’héritage, héritage qui sera abordé en détail aux versets 11-12.
3. Il s’agit d’un rappel concernant l’obligation de legs testamentaire, la wasyya.
– Hypothèse 1 : Dans le contexte littéral immédiat, il serait théoriquement possible que ce verset soit relatif à ce problème, mais l’expression « de cela peu ou beaucoup » élime cette probabilité, les biens de l’orphelin doivent lui être remis en totalité.
– Hypothèse 2 : Le très concis segment « de cela peu ou beaucoup », « mimmâ qalla minhu aw kathur » nécessite d’être bien compris. En ce verset, pour minhu, de lui, le pronom lui peut représenter en théorie soit « la part », nasîbun, masculin en arabe, soit ce qui « a été laissé ». Mais, syntaxiquement, ce segment est obligatoirement rattaché à ce qui le précède et se lit littéralement ainsi : une part […] de ce qui est un peu de lui ou beaucoup. C’est donc, puisqu’il ne peut y avoir en ce cas de répétition légitime, que « de lui » représente l’autre élément, ce qui a été laissé, le bien du défunt. La traduction française impose toutefois de ne pas retraduire le segment « de lui », mais par « de cela peu ou beaucoup » l’on doit comprendre : attribuez une part des biens du défunt, peu ou beaucoup, c.à.d. comme vous le désirez. Ceci étant posé, il ne peut s’agir ici de l’héritage dont les parts sont a priori des quotes-parts établies au prorata et non réductibles ou augmentables.[6] Par conséquent, ce verset ne traite pas de l’héritage.[7]
– Hypothèse 3 : Il est donc dit que devra être légué un peu ou beaucoup des biens que l’on possède, librement, ceci correspond bien au cas de la wasyya.[8] Pareillement, les mêmes termes supposent qu’il n’y ait pas de limitation quantitative et qu’ainsi une personne puisse léguer la totalité de ses biens.
– L’expression « une part déterminée » indique que les parts léguées doivent être précisément déterminées par le testament. Il est incorrect de traduire cette expression par « part obligatoire », traduction qui induit une fâcheuse confusion d’avec le principe régissant l’héritage. Le terme mafrûdan, que l’on assimile plus ou moins inconsciemment, ou plus ou moins consciemment, au mot fard, obligation divine, de même racine, signifie étymologiquement déterminé. La collusion est entretenue par le vocabulaire juridique qui désigna ces parts fixes de l’héritage, les quotes-parts, par le pluriel farâ’id. D10.
De même, ce n’est que l’usage juridique post-coranique qui a limité la signification de mafrûdan à ce domaine technique avec les sens de : assigné, prescrit, obligatoire. D11.
Néanmoins, l’on retrouve l’expression nasîban mafrûdan une seule autre fois en le Coran, toujours en S4, au verset 118, où Satan dit : « Je saisirais parmi Tes serviteurs une part déterminée [nasîban mafrûdan] » sens incontournable qui confirme notre analyse.[9]
– Ce verset confirme donc qu’il n’y a pas dans la wasyya de quotes-parts, répartition au prorata, mais que les parts sont en fonction de la volonté du testateur. Notons qu’énoncer « aux hommes une part » et « aux femmes une part », pourrait sembler s’opposer à ce qui va être formulé trois versets après au sujet de l’héritage et de la dissymétrie des parts entre les hommes et les femmes. En réalité, ceci n’est pas contradictoire, le legs a ses règles, l’héritage les siennes, ce n’est que l’équivoque entretenue entre ces deux principes coraniques qui génère cette pseudo situation. Par ailleurs, la symétrie textuelle dans le rapport homme/femme pourrait laisser entendre, sans que cela soit malgré tout explicitement exprimé, que dans le cas de la wasyya les parts devraient être égales. Tout du moins, littéralement elles pourraient l’être et rien de même ne l’interdit, ce qui est tout à fait conforme à l’esprit général du Coran en matière d’égalité.
– Au final : Le Coran donne une grande importance à la wasyya [S2.V180-183 ; S2.V240 ; S4.V7-8]. Il s’agit d’une obligation de legs par testament, oral ou écrit, fait de son vivant et devant témoins. Ces legs bénéficient expressément à la veuve, au père et à la mère du défunt s’ils sont encore de ce monde ainsi qu’aux enfants ou autres membres proches de la famille. Il n’est ici établi aucune distinction entre les hommes ou les femmes et la répartition des biens est libre, sans quotes-parts. Enfin, le Coran autorise à répartir selon ce principe la totalité de ses biens.
II LA DONATION
– Le don ou sadaqa est bien évidemment éminemment recommandé dans le Coran, mais ici nous entendons plus particulièrement le don fait dans les perspectives du décès, ‘atyya, donation, dit aussi hiba. Cette mesure concerne des bénéficiaires qui ne sont pas membres de la famille, et nous avons déjà cité : “ Et lorsqu’assistent au partage les proches, les orphelins et les nécessiteux, prélevez-en pour eux et tenez-leur propos convenable.” S4.V7-8. Nous ajouterons : “ A chacun, Nous avons désigné des ayants droits[10] sur ce qu’ont laissé père et mère et proches parents, ainsi qu’à ceux liés par vos contrats, donnez-leur donc leur part. Certes, Dieu de toutes choses est témoin !” S4.V33. Voir aussi : S8.V75 ; S33.V6.
– Nous notons que l’ensemble des versets relatifs à la donation cité ci-dessus est postérieur aux versets concernant la wasyya, legs testamentaire. Cette nouvelle incitation à une répartition hors liens du sang des biens visent donc à prolonger et à élargir encore plus le champ d’application du legs testamentaire. L’objectif du Coran semble bien être de dépasser la notion même de transmission familiale afin d’établir une réelle répartition des richesses, une solidarité vraie entre les membres de la société.
CONCLUSION
Notre étude littérale des versets relatifs à la wasyya, ou legs testamentaire, a mis en évidence trois faits essentiels :
– Premièrement, il s’agit chronologiquement de la première disposition prise par le Coran.
– Deuxièmement, cette prescription par testament, oral ou écrit, a un caractère d’obligation.
– Troisièmement, le testateur peut répartir librement ses biens qu’il s’agisse de les léguer à des hommes ou des femmes.
Il est loisible de constater que ces mesures sont aussi sages que libérales et qu’elles ne contreviennent ou ne contredisent en rien le principe d’égalité coranique entre les hommes et les femmes tel que nous l’avons précédemment mis en exergue.[11]
Ceci étant, il est pareillement aisé d’observer que ces quelques versets ont subi de très nombreux assauts exégétiques afin d’être, soit purement effacés par abrogation ex cathedra, soit minorés en leur application s’agissant des ayants droits ou du montant ainsi légué, soit réduits à un rôle secondaire en regard de l’héritage. Nous avons pointé au long de notre analyse ces tentatives de détournement de D1 à D11. L’on aura de même remarqué que l’écart entre l’analyse littérale et la subjectivité juridico-interprétative de l’exégèse classique est très important ; par les jeux d’artifices qui leur sont propres, les exégètes parviennent parfois à créer et édicter un sens à contre Coran. Il en sera de même pour le volet à suivre consacré à l’héritage selon le Coran.
Cet exemple aura mis en évidence un des processus d’élaboration de l’islam historique, ici sous l’aspect du Droit musulman à partir d’une pression exégétique constante. Le prochain article, consacré à la notion d’héritage dans le Coran montrera comment ce même Droit, fiqh, aura réussi à imposer prioritairement le principe pourtant secondaire de l’héritage, warth, tout en marginalisant le legs testamentaire ou wasyya pourtant obligatoire et premier. Ce faisant, ce Droit a prétendument au nom du Coran inscrit en l’islam historique le principe juridique d’iniquité : un homme vaut deux femmes ou une femme vaut la moitié d’un homme. Fiction exégétique dictée à la réalité textuelle coranique, mais qui informe encore puissamment les mentalités des musulmans.
Enfin, en toute modestie, sans aucune prétention à dicter, notre unique objectif au travers de la lecture littérale du Coran objectivement menée sera de fonder à l’origine, le Texte, et pour qui le désire, une relecture du musulman lui-même, une “réforme” de ses mentalités.
[1] Cf. Égalité des hommes & des femmes, volets 1 ; 2 ; 3. Les deux articles consacrés à « L’héritage dans le Coran », répondent à la deuxième des 15 objections listées en « Égalité des hommes et des femmes 1 ». Ces questions sont autant de points régulièrement soulevés et supposés montrer la contradiction entre le principe d’égalité plénière entre les hommes et les femmes énoncé a priori dans le Coran et une série de mesures ou édictions coraniques prétendument discriminatives à l’égard des femmes.
[2] Cf. S2.V180-182 ; S2.V240 ; S4.V7-8 ; S4.V11-14 ; S4.V19 ; S4.V33 ; S4.V176 ; S5.V106-108 ; S8.V75 ; S33.V6.
[3] Ceci justifie à mon sens l’expression coranique kutiba ; dans les trois passages consécutifs précédemment cités, la notion de piété y est explicitement mentionnée en tant que moteur de la mise en œuvre. Une confirmation définitive nécessiterait une étude systématique de l’ensemble de ces occurrences dans le Coran.
[4] Cf. notamment : « Point de contrainte en religion – Réfutation de l’abrogation ; Un colosse aux pieds d’argile. »
[6] Les traductions du type : « que ce soit peu ou beaucoup » sont incorrectes et égarent le sens en laissant à penser que cela pourrait désigner le montant des quotes-parts de l’héritage qui, effectivement, peuvent être plus ou moins importantes.
[7] De plus, au verset 8 il est dit : « Et lorsqu’assistent au partage les proches… » L’emploi du mot partage, qisma, ne plaide pas ici en faveur de l’héritage qui est une répartition selon l’ordre indiqué par le Coran, mais correspond bien dans les faits à la wasyya.
[8] L’on notera la mention des père et mère, al wâlidayn, et de al aqrabûn, les plus proches. Ces termes sont identiques à ceux des versets précédemment cités au sujet de la wasyya alors même que ces deux mots sont absents des versets traitant de l’héritage. Au passage, ceci illustre la grande précision sémantique et terminologique du Coran.
[9] Pour un même traducteur, la comparaison de la traduction concernant ces deux versets met le plus souvent en évidence des choix différents.
[10] La traduction diffusée par l’Arabie Saoudite, et d’autres, traduisent mawâlî par héritiers. Cet abus de sens a comme pour objectif de resserrer la focale sur l’héritage. C’est ainsi par « (re) touches » successives que l’on parvient à inscrire l’héritage à parts déterminées comme prioritaire au détriment du Coran qui quant à lui privilégie la wasyya. Ceci permit l’inscription et le maintien dans l’islam de la ségrégation entre hommes et femmes, point de fixation et axe de construction du juridisme classique comme antique obsession du néo-wahhabisme.
Vœux de l’Aïd. Que reste-t-il de Ramadân
par Dr Al ’Ajamî
• Que reste-t-il du mois passé, quelques notes fugaces, des rires et des lumières, l’impression d’avoir été plus qu’à l’ordinaire. Essentiel partage, appartenir ainsi à l’autre, vivre le couple, la famille, la communauté, l’humanité. Quelques marques de Lui en l’abaissement de notre être. Quelle Miséricorde que d’avoir retenu nos désirs nous ait donné d’aimer la solitude comme la foule, la faim comme la satiété, la soif comme l’eau pure, la mort comme la vie. Quelques traces d’Amour en un banal désert.
• Qu’il nous soit donc donné avant que l’hiver nous rejoigne, d’encore partager, encore endurer, encore pleurer, encore désirer, encore espérer, encore vivre et encore mourir.
Qu’il nous soit donc donné avant que l’oubli nous enterre de toujours persévérer, de toujours écouter, de toujours refuser la haine, de toujours pour Dieu résister, de toujours pour Dieu aimer.
Qu’il nous soit donc donné avant que le vie nous enivre, de nous rappeler, nous sermonner, nous désespérer, nous détester, nous repentir, nous rapprocher, nous abandonner à Lui.
Qu’il nous soit donc donné avant que le temps n’efface, de pouvoir encore goûter la solitude, aimer l’abstinence, désirer prier, pleurer de désirance, chercher l’accomplissement, vouloir le renoncement.
Qu’il nous soit donc donné avant que nos cœurs se dessèchent, de vouloir offrir, de vouloir communier, vouloir réconcilier, vouloir l’humanité pacifié, vouloir l’espoir recommencé, vouloir l’avenir partagé, s’offrir.
Qu’il nous soit donné de ne jamais refuser, jamais négliger, jamais offenser, de ne jamais nous abaisser, de ne jamais oublier, jamais.
Ô Seigneur c’est Toi que nous implorons !
Ô Seigneur, qui d’autre implorer !
• Qu’il me soit donc donné en cette Aïd renouvelée, l’occasion d’adresser et de partager avec tous un instant de repentance et d’espoir :
Que Dieu nous pardonne
Que Dieu nous pardonne de toute Miséricorde
Nos océans de noirceurs
Nos profondeurs indicibles.
Que Dieu nous pardonne d’infinie Mansuétude
Nos obscures blessures
Nos inavouées violences.
Que Dieu nous pardonne d’immense Générosité
Nos âmes viles et rebelles
Nos chairs laides et serviles.
Que Dieu nous pardonne de pleine Indulgence
Nos mensonges dissimulés
Nos crimes acceptés.
Que Dieu nous pardonne d’absolue Clémence
Nos inexcusables prétentions
Nos sordides désirs.
Que Dieu nous pardonne de douce Bienveillance
L’âpreté des mains
La faiblesse des cœurs.
Que Dieu nous pardonne de souveraine Compassion
Nos incommensurables orgueils
Nos insignifiantes conditions.
Que Dieu nous pardonne,
Que Dieu nous pardonne.
——————
Aïd moubârak
Source : oumma.com
1er jour de Ramadan 1432H / 2011 : lundi 01 août 2011
Nous informons les musulmans de France que le 1er jour du mois de Ramadan 1432H / 2011 correspondra au lundi 1 août 2011.
Durant ce mois sacré de Ramadan, chacun et chacune de nous doit être à la recherche de la proximité de Dieu, devra également faire tout son possible pour s’attirer la Miséricorde de Dieu, et ce, en répandant l’amour et le bien autour de nous et en multipliant les œuvres pieuses. Sans oublier bien entendu, d’être généreux et de partager avec ceux qui sont dans le besoin. Et accorder une attention particulière à préserver notre jeûne de tout ce qui pourrait le souiller et diminuer ainsi son mérite. Que nos bonnes actions ne soient rien d’autre que la conséquence immédiate de notre amour pour Dieu et pour le prophète (prière et salut de Dieu sur lui).
Nous souhaitons que le mois Béni de Ramadan soit un mois de spiritualité, de proximité de Dieu et de paix dans le monde.
Carrières sous Poissy, le 31 juillet 2011
Ramadan, le mois du Coran
Native Deen – Ramadan is Here
Comment accueillir le mois de Ramadan ?
La décapitation arme fatale au royaume wahhabite
Le 18 juin 2011, en Arabie Saoudite, une domestique indonésienne, Ruyati binti Sapubi , âgée de 54 ans, a été décapitée publiquement d’un coup de sabre. Une exécution spectacle où le corps sans tête a parcouru la ville suspendu à un hélicoptère[1].
Quel qu’en soient les motifs, quel qu’en soit le crime qu’ a pu commettre cette femme, quel qu’en soient les charges retenues contre elle, rien ne justifie cette décapitation barbare, rien, en Islam ou dans le droit musulman, ne peut cautionner ce spectacle de l’horreur.
La version officielle de l’autorité saoudienne est que cette domestique a été condamnée à mort puis décapitée pour avoir tué sa patronne qui, selon elle, la maltraitait et l’empêchait de rentrer dans son pays. Cette histoire effroyable a provoqué une profonde émotion en Indonésie et Jakarta avait annoncé que les Indonésiens ne seraient plus autorisés à s’exiler pour travailler comme domestique en Arabie Saoudite, tant que leurs dignités et leurs droits ne seraient pas respectés.
Désormais, les maltraitances, les formes extrêmes d’exploitation et les pratiques esclavagistes que le royaume wahhabite réserve à ses travailleurs migrants, se sont multipliées ces dernières années. C’est ainsi qu’une femme a été battue et brûlée au fer à repasser, une autre torturée avec des clous, sans compter les cas de viols, les violences physiques et sexuelles, les conditions de vie et de travail contraires à la dignité, le non respect des droits fondamentaux… L’Arabie Saoudite est un cauchemar pour les travailleurs immigrés et un déni de l’humanisme et de la justice de l’islam.
Outre les salaires très bas et les longues journées de travail, il faut savoir que ces travailleurs étrangers ne peuvent pas quitter le pays sans autorisation de leur employeur. Souvent, leurs passeports sont confisqués par leurs patrons. Ils sont à la merci de leurs employeurs qui les exploitent de manières abusives. Mais, la condition des femmes reste la pire. Pour elles s’ajoutent les viols à répétition ou les harcèlements sexuels. Une situation dénoncée depuis des années par l’organisation américaine Human Rights Watch (HRW) dans ses rapports « As if I Am Not Human : Abuses against Domestic Workers in Saudi Arabia » (« Comme si je n’étais pas un être humain : Abus contre des travailleurs domestiques asiatiques en Arabie Saoudite »).
Centre Malcolm X
[Vidéo] Le mois de Chaâbane préambule au mois du Ramadan
Frapper sa femme avec le Coran : « et frappez-les » 2/2 par Dr Al ’Ajamî
Nous avons précédemment et clairement montré que le Coran attestait explicitement de l’égalité plénière entre l’homme et la femme selon au moins sept niveaux que nous rappelons : 1- Egalité ontologique, 2- Egalité de valeur, 3- Egalité en la foi, 4- Egalité en religion, 5- Egalité spirituelle, 6- Egalité en la réciprocité, 7- Egalité en société (1). Si le Coran énonce que les hommes et les femmes sont intrinsèquement égaux, comment admettre et comprendre que certains autres versets puissent sembler en contradiction avec ce postulat essentiel ? A cet égard, la lecture de S4.V34 est “exemplaire”, nous en avions donné une première traduction standardisée :
“ Les hommes ont « autorité » [qawwâmûna] sur les femmes, en raison des faveurs que Dieu accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu’ils font de leurs biens. Les femmes vertueuses sont obéissantes « à leur mari » [qânitât], et protègent ce qui doit être protégé, pendant l’absence de leur époux, avec la protection de Dieu. Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance [nushûz], exhortez-les, éloignez-vous d’elles dans leurs lits et « frappez-les » [wa-dribûhunna]. Si elles arrivent à vous obéir, alors ne cherchez plus de voie contre elles, car Dieu est certes, Haut et Grand ! ” S4.V34.
Lecture classique, que l’on le veuille ou non, dont, nous l’avions souligné, ressort un triptyque solidement patriarcal :
•Les hommes ont autorité sur les femmes.
•Les femmes vertueuses sont celles qui obéissent à leur mari.
•Si elles désobéissent, frappez-les.
Au volet 1 nous avons fourni des arguments précis démontrant, comme confirmant, que les deux premiers énoncés n’étaient que déviations littérales du texte coranique. Il n’ y avait donc aucune difficulté, à condition de vouloir l’entendre, à comprendre : « Les hommes assument les femmes » versus « les hommes ont autorité sur les femmes. » et « Les femmes vertueuses sont dévouées à Dieu » versus « les femmes vertueuses sont obéissantes à leur mari ».
Cependant, le dernier point de ce verset, un bref et sec impératif : « et frappez-les » , est plus délicat à aborder.
Ainsi, s’il ne peut y avoir de contradiction dans le Coran : “ Ne méditent-ils donc pas le Coran ? S’il avait été d’un autre que Dieu ils y trouveraient de nombreuses contradictions.” S4.V82 , et si le texte coranique est supposé être explicite : “ Nous avons fait de ce Livre explicite une lecture arabe afin que vous puissiez le comprendre.” S43.V2-3, comment à la lueur de son enseignement par ailleurs égalitaire et miséricordieux comprendre cet ordre « et frappez-les » ? Tel est l’enjeu exégétique.
Lors de la première analyse de notre verset nous avions fait une quinzaine d’observations qui, au final, mettaient en évidence quatre niveaux de contradiction :
Double contradiction coranique :
1- Contradiction interne au Coran : l’égalité et le respect prescrit entre les hommes et les femmes ne sont pas compatibles avec le fait de frapper son épouse.
2- Contradiction interne au v34 : dès lors que « l’autorité des hommes sur les femmes » et « l’obéissance des femmes à leurs maris » ne sont plus textuellement avérées le fait d’avoir un droit de frappe est indéfendable. De plus, il serait illogique à ce stade de l’échec des négociations (troisième étape indiquée par le Coran) de frapper, même délicatement, l’indocile. Inefficace et encore illogique puisque le Coran précise dans la foulée, v35, de craindre et d’éviter la séparation.
Double contradiction de la Sunna :
3- Contradiction Coran/Sunna. Le Prophète, le fait est unanimement admis, a en plusieurs hadîth authentifiés interdit de frapper les femmes.
4- Contradiction Sunna/Coran le Prophète n’a pas suivi la séquence révélée et lorsqu’il eut à résoudre une crise conjugale il se contenta de rester un mois durant à l’écart jusqu’à ce que le conflit s’apaise de lui-même.
Quelles solutions :
1- La plus classique : l’injonction wa-dribûhunna signifie « et frappez-les » mais il nous faudrait comprendre qu’il ne s’agirait que de frapper gentiment avec son siwâk ou sa brosse à dent. Nous renvoyons à l’article précédent où nous avons donné les arguments contre cette hypothèse dont, au delà de la légèreté du propos, l’objectif semble avoir été bien plus de conserver un mâle droit que de rétablir la cohérence coranique.
2- Il est possible de frapper son épouse en cas de désobéissance ou d’actes graves mais il est préférable dans tous les cas de s’en abstenir. L’on trouve cet avis par exemple chez ar-Râzî (2). Nous émettons les mêmes réserves qu’en supra.
En ces deux cas, reconnaître que Dieu ait au final conseillé à l’homme de frapper son épouse en cas de conflit laisse pour le moins songeur… Nous en avons donné les raisons, si tant est qu’il en faille…
3- Il faut réellement prendre en compte les incohérences engendrées par ce type de lectures et sortir textuellement du non-sens constaté. Une solution dialectique et simple semble dénouer la problématique : D’une part, le verbe daraba en la locution « wa-dribûhunna » ne peut pas signifier en ce verset « et frappez-les ». D’autre part, il apparaît logiquement que parmi les différents sens possibles de la racine verbale daraba l’expression pourrait être ici : « éloignez-vous d’elles ».(3)
Nous aurions alors pour v34-35 , en cas de conflit conjugal, grave l’enchaînement suivant : 1- Exhortation au bien. 2- Abstention de rapports. 3- Séparation provisoire, éloignez-vous d’elles et non plus “frappez-les”. 4- Appel à des conciliateurs (v35). L’ensemble est pédagogiquement et textuellement cohérent, conforme aux énoncés d’égalité et de respect coranique, et correspond à ce qu’enseigna et mit en pratique le Prophète.
Mais, l’on pourrait nous objecter qu’il ne s’agit là en réalité que d’un réseau présomptif puisque le verbe daraba est bien connu et que le sens proposé « éloignez-vous d’elles » voulu par cette approche rationnelle n’est pas a priori grammaticalement ou linguistiquement correct, ces analyses ne sauraient par conséquent apporter des arguments décisifs (4). En quelque sorte rien qui ne saurait briser le statu quo. Nous nous proposons donc d’approfondir la question afin d’apporter des éléments de réponse supplémentaires.
ANALYSE LINGUISTIQUE
• 1 Un rappel, « wa-dribûhunna » se décompose comme suit : wa = et, -dribû est l’impératif deuxième personne du pluriel du verbe daraba et hunna est le pronom « elles » représentant ici les épouses. Un des sens possibles de daraba est effectivement, « frapper » ce qui pour « wa-dribûhunna » se comprend bien alors « frappez-les ». Cependant, l’on dénombre une quarantaine de sens dérivés pour cette racine verbale, le verbe daraba est un peu comme notre “faire” un verbe à tout faire. Ainsi, l’emploi de ce qui est peut-être le premier degré, c’est-à-dire frapper, n’est-il pas l’usage le plus fréquent en langue arabe. De fait, le Coran emploie ce verbe une soixantaine de fois et, dans deux tiers des cas, en une formule coranique bien connue « daraba mathalan » , parfois curieusement et littéralement traduite par « frapper d’exemple », le sens étant sans conteste : « proposer une parabole ». On note, de plus, dans le Coran, le recours à daraba avec le sens de annuler, humilier, rabattre, mais aussi de parcourir, quitter, séparer, s’éloigner. Enfin, à quatre reprises, daraba signifie frapper une personne, ex : S8.V12 .
• 2 Cette polysémie est en arabe en partie commandée, en dehors du contexte et des sens obligatoirement figurés, par l’usage de prépositions comme bi, fî, ‘alâ, ‘an, ilâ. Ainsi, « daraba ‘alâ yadihi », littéralement « il frappa sur sa main », signifie-t-il « il lui retira l’usage de ses biens ». Point important, selon un lointain parallélisme avec la grammaire française, l’on parlera de verbe intransitif lorsque l’usage impose une de ces prépositions et de verbe transitif lorsqu’il s’en dispense. Or, daraba, pour pouvoir indiquer une idée de mouvement a généralement besoin de ces prépositions, par exemple : daraba ilâ, il s’élança, daraba fî, il parcouru, et daraba ‘an, il s’éloigna. Donc, en arabe classique, wa-dribûhunna [ وآ ضر بوهن], sans préposition, état transitif, se comprend dans le contexte de ce verset « frappez-les » et pour obtenir le sens proposé « éloignez-vous d’elles » il faudrait dire [ وآضربوا عنهن ] wa-dribû ‘an-hunna en usant de la préposition ‘an, état intransitif. Ceci semblerait donc invalider notre hypothèse.
• 3 En réalité, il n’y a pas de verbes transitifs qui ne puissent être intransitifs et inversement, le fait est bien connu des grammairiens. En voici un exemple coranique, toujours avec le verbe daraba. Il s’agit d’un véritable hapax : en S18.V11 nous notons l’emploi intransitif du verbe daraba signifiant frapper, usage normalement transitif. On y lit : « darabnâ ‘alâ âdhânihim » ce qui se traduit mot à mot : « Nous frappâmes sur leurs oreilles » action qui normalement, en arabe, se dit : « darabnâ âdhânahum » sans le recours à la préposition ‘alâ, « sur ». Les encyclopédies de la langue arabe donnent le sens de cette « curiosité » à partir d’un autre hapax, un unique hadîth où cette curieuse formule est prise pour une métonymie indiquant le sommeil, nawm. Malgré tout, l’expression n’étant ni grammaticalement normale ni vraiment normalisée, les commentateurs du Coran et les traducteurs ont en fonction de l’idée suggérée dans ce passage de sourate « al kahf » fait plusieurs propositions : « Nous avons assourdi leurs oreilles », ou « Nous fîmes le silence à leurs oreilles », « Nous les avons abasourdis », ou encore “Nous les plongeâmes dans un sommeil profond » (5). Le fait ici d’avoir employé la préposition ‘alâ, là où l’on ne l’attendait pas, a induit une compréhension différente de celle liée à l’usage normal du verbe daraba.
• 4 Seul l’usage détermine la prépondérance de tel ou tel état du verbe. Les règles que nous considérons par convention intangibles ne l’ont pas toujours été et l’usage transitif d’un verbe intransitif est possible en langue arabe préclassique où la régularité n’est pas de mise. L’arabe n’a jamais été une langue figée pour l’éternité ; elle a un passé, le Coran en témoigne, et un avenir, le présent l’atteste d’ors et déjà. Les critères académiques de la langue arabe ont été déterminés seulement à partir du IIe siècle de l’Hégire et il fut fait un grand effort de régularisation d’une réalité linguistique bien plus complexe et instable. Cette systématisation a abouti à la fort heureuse fixation de la langue arabe, dite par convention arabe classique. Cependant, il faut le répéter, l’arabe coranique, même s’il servit incontestablement de référent, ne peut être superposé à la langue arabe classique. Les “anomalies” grammaticales du Coran, c’est-à-dire les particularités antérieures à la normalisation, se comptent par centaines et de nombreux ouvrages sont consacrés à ces singularités coraniques.
Dans le cas qui nous intéresse, l’emploi de wa-dribûhunna (état transitif) au lieu de l’état intransitif normalisé wa-dribû ‘an-hunna n’est donc pas une impossibilité linguistique.
L’on pourrait, qui plus est, faire observer qu’en wa-dribûhunna l’absence de la préposition ‘an, dite préposition d’éloignement ou de séparation, permet d’indiquer à « l’oreille sémite » que l’éloignement préconisé se doit d’être moindre. Comme s’il ne devait pas y avoir de cassure, seulement une position de retrait momentané émanant dans ce cas précis de l’homme par rapport à son épouse. Tel est bien ce que fît le Prophète, nous l’avons indiqué.
• 5 Nous avions montré que l’égalité homme/femme dans le Coran impliquait l’équité, la réciprocité, et la complémentarité, il nous en est offert ici un exemple. Le Coran n’envisage pas que le cas de “l’épouse indocile” mais aussi, en la même sourate, la situation inverse où l’homme est impliqué selon les mêmes perspectives : “ Si une femme craint de son mari infidélité [nushûz] ou qu’il s’éloigne [i‘râd] ; il ne leur sera pas alors fait grief de rechercher la conciliation. La réconciliation est ce qui est préférable car les âmes sont portées à l’avidité…” S4.V128.
Ce verset est bien l’équivalent des v34-35 mais cette fois c’est le comportement du mari qui est fautif. L’on y retrouve la même cause un « nushûz » et, comme en résumé, la notion d’éloignement suivie de la préférence à donner à la conciliation. Ainsi le terme i‘rad apparaît-il ici être le symétrique ou le correspondant de l’action indiquée en fin de v34 par wa-dribûhunna avec incontestablement alors le sens de éloignez-vous d’elles. En effet, Le mot i‘rad signifie délaissement, le fait de se détourner, éloignement (6), ce qui est très proche de l’idée exprimée par l’usage de wa-dribûhunna sans la préposition de séparation ‘an comme nous l’avions ci-dessus fait observer.
• 6 A propos du terme nushûz, que nous avions traduit jusqu’à présent par désobéissance, nous signalerons la rigueur et la précision coranique, ici au profit de l’égalitarisme et, indirectement, comme preuve quasi inconsciente du machisme ambiant. En effet, le mot nushûz n’apparaît dans le Coran qu’en ces deux seuls versets, v34 et v128 . La symétrie est remarquable et l’on s’attendrait à ce que le nushûz des unes soit celui des uns. Or, une rapide revue des principales traductions met en évidence un net déséquilibre. Pour le nushûz attribué à la femme au v34 et le nushûz attribué à l’homme au v128 l’on note respectivement selon les traducteurs les couples suivants : infidélité/abandon ; désobéissance/abandon ; insubordination/ hostilité ; insoumission/désaffection ; indocilité/rudesse ; rébellion/dureté ; inconduite/hostilité ; malversation/maltraitement, etc. Nous laisserons tout un chacun et chacune juge du différentiel.
Nous ajouterons que les dictionnaires, écrits par les hommes, se font eux aussi témoins de ce « partage des rôles », mais nous aurons compris que le Coran utilisant ce terme uniquement en ces deux versets symétriques conférait à nushûz un seul et même sens (7). Plus prosaïquement, la diversité de ces propositions de traduction met en évidence la difficulté à rendre en français ce mot dont la racine nashaza évoque le fait de se dresser, s’ériger, se soulever. C’est donc malgré tout par défaut que nous traduirons nushûz par hostilité : « celles dont vous craignez hostilité [nushûz] » v34 et « Si une femme craint de son mari hostilité [nushûz] » v128.
Enfin, nous ajouterons que nushûz, outre un sens vague, est en ces deux versets employé au cas indéterminé nushûzan. Cette imprécision coranique semble voulue car il ne s’agissait pas là de délivrer une recette à appliquer pour un cas bien déterminé. Bien au contraire, ces versets indiquent seulement une ligne de conduite à suivre pour tenter de résoudre des conflits, sans autres précisions ; et Dieu seul sait que pour tout couple ils sont d’ordres divers, de l’anodin à l’intolérable.
En résumé :
L’analyse littérale avait mis en évidence qu’un texte en apparence explicite, S4.V34 , soulevait de nombreux problèmes de cohérence, nous les avons listés précédemment. Les quelques réflexions linguistiques que nous venons de suivre laissent apparaître qu’une situation sémantique qui semblait univoque n’était pas s’en laisser des espaces de sens pouvant être utilisés pour rectifier le sens du verset vers plus de cohérence et de cohésion coranique. Bien plus, rien n’interdit de comprendre que cette possibilité était première mais qu’elle a été oblitérée par une projection de sens initial considéré de facto comme classique.
CONCLUSION
Il découle de ce qui précède que rien n’interdit en un usage possible de la langue arabe coranique tout comme en fonction du contexte de l’ensemble concerné de comprendre et traduire le syntagme wa-dribûhunna par : « éloignez-vous d’elles » et non pas : « frappez-les ».
On peut donc lire ainsi ce passage :
“ Les hommes assument [qawwâmûna] les femmes […] Les femmes vertueuses [qânitât] sont dévouées à Dieu […] Quant à celles dont vous craignez l’hostilité [nushûz], exhortez-les, puis faites lit à part et, enfin, éloignez-vous d’elles [wa-dribûhunna] […] Et si vous craignez le désaccord entre les deux faites alors appel à un arbitre de la famille de l’époux et un de la famille de l’épouse. Si le couple souhaite au fond la réconciliation, Dieu rétablira l’entente entre eux…” S4.V34-35.
Ce verset se lit avec son symétrique et complément :
“ Si une femme craint de son mari hostilité [nushûz] ou qu’il s’éloigne ; il ne leur sera pas alors fait grief de rechercher la conciliation. La réconciliation est ce qui est préférable car les âmes sont portées à l’avidité…” S4.V128.
L’ensemble est à présent cohérent, il ne contredit pas les principes d’égalité, de réciprocité, d’équité, de respect, par ailleurs édictés par le Coran. De même, il confirme et renforce les paroles comme les actes du Prophète en la matière. La proposition coranique ne dépend plus d’une vison ethnocentrique et devient rationnellement acceptable. Ce que la compréhension traditionnelle avait rompu est ainsi rétabli.
Par l’étude de ce verset, chacun aura pu se rendre compte que la lecture d’un texte, est largement dépendante des préjugés qui nous animent. Etre détenteur d’un texte sacré, en lui-même porteur d’une vérité absolue, ne garantit pas en soi aux hommes de détenir cette vérité. Nous possédons certes le Texte mais tout texte n’est qu’une série de mots. En réalité, le crédit d’une telle référence est fonction du niveau de valeur morale et de rigueur intellectuelle de ceux qui le lisent, y exercent leur compréhension et par suite le mettent en application. Tout lecteur est potentiellement interprétateur mais il doit être conscient de cette différence qualitative afin de lutter contre sa propre tendance herméneutique. Ainsi, et seulement ainsi, pourra-t-il faire en sorte que sa participation soit ouverture intellectuelle.
Nous n’aurons de cesse de militer pour une rupture du cercle herméneutique, notre méthodologie d’analyse littérale vise uniquement à cela, c’est-à-dire tenter d’approcher le texte révélé en court-circuitant nos préjugés de lecteurs. Nous savons pertinemment que fronts d’oppositions, conservatismes comme modernismes, pourront nous reprocher en retour d’être pire encore que l’interprétateur. Nous avons pour nous les arguments tangibles que notre approche épistémologique produit et que nous soumettons à l’observation et au jugement du lecteur. A vrai dire, aussi, les actes ne valent que par l’intention, et Dieu seul connaît les nôtres.
Face à quatorze siècles d’histoire exégétique du Coran que valent quelques voix qui en ces temps tentent de se faire entendre. Nous n’aurons donc pas la prétention ni la folie de vouloir effondrer l’ordre établi par les hommes sur la « Parole de Dieu », tout au plus aurons-nous osé rompre le silence et proposer à ceux qui veulent l’entendre un autre écho du Livre.
Le Coran, quant à lui, est porteur d’un message de paix, de tolérance, et d’amour, mais il n’est pas sûr que les hommes soient tous prêts à défendre ce même idéal. Ce modèle nous est ici proposé en faveur du couple ; noble appel à la mise en œuvre de ce triptyque d’où découlent respect, protection mutuelle, patience, dignité.
Concernant cette étude, nous avions donné en « Que dit vraiment le Coran » cette conclusion : « Conformément à ce message coranique, le Prophète Muhammad a inlassablement exhorté les hommes à se débarrasser de leurs préjugés sexistes et à ce que, pour Dieu, ils s’amendent et se réforment afin de créer, hommes et femmes, croyants et croyantes, une société idéale sans haine et sans ségrégation. » Lorsque l’on demanda à Aïsha quel était le comportement du Prophète, elle répondit : « Son comportement était le Coran. » (8)
Notes :
(1) Egalité des hommes & des femmes – 2.
(2)Ar-Râzî cite aussi sur ce point l’imam ash-Shâfi‘î précisant que, malgré tout, celui qui frapperait sa femme devrait répartir les coups sur tout le corps en évitant la face et devrait se limiter à moins de 40 coups. D’autres shaféites pensent qu’il ne faut pas dépasser vingt coups puisque ce nombre correspond chez eux au châtiment de l’esclave… en guise de tout commentaire l’on appréciera la rigueur logique…
(3)Telle est la solution que nous avions argumentée en « Que dit vraiment le Coran » première édition 2008. Il a été par ailleurs proposé de retenir comme sens possibles pour daraba : l’éloignement, la cessation des relations, la mise à l’écart, In : Asmâ’ Lamrabit « al qur’ân wa-n-nisâ’ » publié en 2010 citant sur ce point le livre du Dr Abdel Hamîd Ahmad Abû Sulaymân : « darb al mar’a, wasilatu lihal al khilâfât az-zawjyya » paru en 2002. Nous n’avons pas eu accès aux arguments précis de l’original.
(4) Ceci est patent et explique qu’en l’ensemble des traductions nous trouvions encore la mention « et frappez-les » alors même que certains traducteurs comme Jacques Berque ou Muhammad Asad avaient rectifié les sens de « qawwâmûna » et « qânitât » en « Les hommes assument les femmes » et « Les femmes vertueuses sont dévouées à Dieu ».
(5) Ceci correspond à la lecture des classiques mais l’emploi “irrégulier” de la préposition ‘alâ a retenu l’attention des commentateurs modernistes ou scientistes, ces derniers ayant poussé l’indication jusqu’à vouloir trouver ici une subtilité miraculeuse, la science ayant montré que dans les comas il y avait une sidération [darb] de l’oreille interne… sans commentaire.
(6) Traduction établie en fonction d’un hadîth rapportant l’explication contextuelle de ce verset par Aïsha. Hadîth rapporté par Al Bukhârî.
(7) Le professeur Hamidullah avait quant à lui respecté l’équité comme la symétrie et traduit en ces deux versets le terme nushûz par infidélité. Il donne cependant à ce terme le sens de adultère ce qui n’est pas du tout indiqué dans le texte ni le contexte ou l’étymologie. Toutefois, sa traduction pourrait être conservée en donnant au terme infidélité un de ses sens courants : qui ne tient pas ses engagements, ses devoirs, sa fonction, c’est-à-dire : se dresse contre l’autre au lieu de l’épauler.
(8)Hadîth authentifié rapporté par Ibn Hanbal.
Dr Al ’Ajamî :Auteur de « Que dit vraiment le Coran » et de « Quarante Hadiths authentiques de Ramadan » parus aux éditions Zenith, 2009. http://editionszenith.fr
Source : http://oumma.com/Frapper-sa-femme-avec-le-Coran-et