Aujourd’hui en France, le vrai débat, celui qui doit mobiliser pouvoir politique et médiatique est, incontestablement, le débat sur les discriminations. Notre contexte est marqué par les inégalités, les exclusions et les traitements discriminatoires qui touchent les « Français issus de l’immigration et des DOM-TOM », les « Français d’origine immigré », ou les « minorités visibles ». La discrimination bat en brèche l’un des premiers principes républicains : l’égalité. Pourtant, ce phénomène social n’est pas au centre des débats publics malgré l’ampleur de ses effets dévastateurs sur les individus, et sur la société dans son ensemble.
Il est évident que les sujets de société qui empoisonnent le débat public actuellement (identité nationale, burqa …), représentent une diversion burlesque afin de contourner les débats de fond sur des questions fondamentales.
Le problème aujourd’hui est qu’il y a overdose, nous assistons impuissants à la montée de discriminations multiples : discrimination à l’embauche, à l’adresse, à la santé, à l’école et aux loisirs. Les personnes issues des quartiers populaires, de l’immigration ou des colonies sont les premières victimes de l’exclusion sociale, professionnelle et politique. En même temps, nous assistons à l’escalade sans précédent de l’islamophobie, mais aussi à la banalisation de cette violence et de ce traitement discriminatoire que subissent les musulmans de France. L’émissaire de l’ONU Gay Mac DOUGALL a déclaré, vendredi 28 septembre 2007 : « qu’un racisme « pernicieux » perdure en France, où des minorités sont reléguées dans des « ghettos » sans espoir de promotion sociale ».
Nombreux sont les études qui pointent du doigt la persistance de la discrimination et de la stigmatisation à l’égard des musulmans en Europe, et qu’aujourd’hui les solutions tardent à venir. Selon le rapport de l’Open Society Institute[1] (OSI) qui a analysé la situation des musulmans de 11 villes européennes : « les discriminations religieuses envers les musulmans sont très répandues et qu’elles se sont aggravées ces cinq dernières années ». L´Agence des droits fondamentaux (FRA) de l´Union Européenne a publié, le 28 mai 2009, un rapport qui fournit des données sur la manière dont les musulmans subissent la discrimination et les crimes racistes dans leur vie quotidienne au sein de l´Union européenne[2] : « la plupart des musulmans interrogés (79%) ne déclarent pas les discriminations ou les crimes racistes dont ils sont victimes, que ce soit aux forces de police ou à une organisation non gouvernementale. Un comportement que la FRA explique notamment par un « manque de confiance dans les autorités publiques ». Cinquante-neuf pour cent des musulmans interrogés déclarent que « la déclaration des incidents n’a aucun effet ou ne change rien » et 38% d’entre eux disent que « cela arrive tout le temps » et qu’ils ne font pas l’effort de déclarer ces incidents.
En particulier, les jeunes musulmans interrogés précisent qu’ils font peu confiance à la police en tant que service public (….). Un quart des musulmans interrogés (25%) en moyenne affirment par ailleurs avoir été contrôlés par la police durant les 12 derniers mois. Et parmi eux, rapporte la FRA, 40% estiment avoir été contrôlés sur la base de leur appartenance ethnique ».
Une autre logique importante pour expliquer la recrudescence des discriminations est liée à l’image des jeunes issus de l’immigration. Une image négative qui s’est construite insidieusement dans l’imaginaire social. Le » jeune de banlieue » est : casseur – délinquant – racaille – voleur – violeur … À partir de là, le » jeune de banlieue » ne peut être désigné comme victime d’une injustice puisqu’il est responsable de sa propre stigmatisation. Il est évident aussi que la banalisation des idées politiques racistes et islamophobes a contribué fortement à légitimer et à amplifier la pratique de la discrimination.
François DUBET[3] relève que les jeunes issus de l’immigration sont confrontés à un processus paradoxal : à la fois une forte assimilation culturelle et une faible intégration sociale due essentiellement aux phénomènes de discrimination à l’embauche. Cette situation est contraire aux principes affirmés par le Haut Conseil à l’Intégration : « la conception française de l’intégration doit obéir à une logique d’égalité et non de minorités »[4]. Ce processus paradoxal stigmatise[5] les jeunes issus des quartiers populaires. Le stigmate, selon Erving GOFFMAN, c’est : « la situation de l’individu que quelque chose disqualifie et empêche d’être pleinement accepté par la société ». Autrement dit, « ce quelque chose qui disqualifie le jeune Français d’origine africaine, maghrébine, turque ou des DOM-TOM serait lié à la couleur de sa peau, à son faciès en même temps qu’à sa situation identitaire de “jeune issu de l’immigration” »[6].
Aujourd’hui, la responsabilité des institutions publiques et des médias dans l’amplification des discriminations est partiellement reconnue ; et la lutte contre les discriminations est proclamée comme » grande cause nationale ». Mais au quotidien, la réalité est toute autre et puis dénonciation ne veut pas dire forcément action et éradication.
Un autre point important à soulever concerne la discrimination en politique. En effet, la diversité est devenue un concept marketing censé séduire les électeurs des « communautés » arabes, africaines et antillaises, …. Malheureusement, cette diversité de casting est loin de promouvoir l’égalité républicaine et ne favorise pas l’émergence des Français issus de l’immigration et des DOM-TOM dans le champ politique. Pire, elle contribue à entretenir et à légitimer les discriminations, en proposant un simple saupoudrage ethnique et exotique sur une réalité politique profondément inégalitaire. Certains ont été séduits et ont accepté d’endosser le rôle peu glorieux de l’indigène de service et être par la même occasion un faire-valoir d’un grand mensonge d’Etat qui affiche l’image d’une France multicolore, unie et plurielle. D’autres se sont expatriés pour une condition salariale attractive et surtout pour être reconnus pour ce qu’ils sont, sans stigmatisons ni discriminations.
Comment réagir face aux discriminations ? Comment ne plus rester prisonnier de son origine, de sa couleur de peau, de son quartier ou de son milieu ? Les discriminations multiples en France nous interpellent, nous questionnent. Face à ces interrogations, il est souvent simple d’’adopter la stratégie de l’encaissement des coups et du silence. Cette stratégie ne fonctionne pas et n’empêche pas les discriminations de s’amplifier et de se banaliser. Il est impératif de prendre conscience de l’urgence de la lutte contre les discriminations. Il est temps de s’engager résolument en faveur d’une égalité véritable, de refuser toute conception tendancieuse de la diversité, cherchant à satisfaire les appétits électoralistes et d’entreprendre une véritable « réforme » des mentalités.
[1]http://www.challenges.fr/depeches/monde/20091215.REU2621/losi_pointe_les_discriminations_envers_les_musulmans_de.html
[2] http://europe-liberte-securite-justice.org/2009/05/29/les-musulmans-font-lobjet-de-discriminations-importantes-nous-dit-lagence-europeenne-des-droits-fondamentaux-de-lue/
[3] « Quelques caractéristiques sociologiques des jeunes issus de l’immigration » in Migrants-formation, n°
86, septembre 1991.
[4] « Pour un modèle français d’intégration », La documentation française, 1991.
[5] Cette hypothèse est plus particulièrement développée dans un article intitulé « Révéler les situations de stigmatisation : un enjeu de citoyenneté », Olivier NOËL in Agora Débats-Jeunesse, n°6, 1996.
[6] La discrimination raciale dans l’accès à l’emploi : un obstacle majeur à l’intégration et une place mineure dans le débat public. Fabrice DHUME et Olivier NOËL, ISCRA Méditerranée, Janvier 1999.