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L’héritage dans le Coran : Loi divine, Droit des hommes, ou droits des femmes ? 1/2 – La wasyya ou legs testamentaire-

Par Dr Al ’Ajamî

Une fois l’an, l’imam de mon quartier, ancien avocat et homme tranquille, fait trembler le minbar de la mosquée. Comment des musulmans osent-ils contourner la « Loi de Dieu » et donner de leur vivant à leurs filles une part de leurs biens afin qu’elles « héritent » dans les faits de autant que leurs frères… Détournement de la « Loi divine » qui les expose à la vindicte des imams et des ulémas et, à ne pas en douter, à la colère de Dieu. La messe est dite, si j’ose dire.

• Nous allons réserver trois articles à cette question, non pas tant que nous considérions qu’elle soit centrale en islam, mais à titre d’illustration concrète des trois volets précédents consacrés à la “réforme islamique” avec, encore une fois, autant de précision que de précaution quant au recours par défaut au terme « réforme ».

Parallèlement, cette étude s’inscrit dans le droit fil de nos recherches exégétiques antérieurement présentées et relatives aux principes coraniques de justice et d’égalité entre les hommes et des femmes.[1]

• Comprendre la problématique de l’héritage en islam nécessite de retourner au Coran. Plus encore que de principe, puisqu’ici l’héritage est revendiqué par la sharia comme une « loi divine » et que ladite « Loi » est par définition obligatoirement inscrite dans le texte coranique. Incontestablement, une quinzaine de versets concernent le devenir des biens laissés par le défunt et ils sont réputés englober la totalité de la thématique.[2] Nous en étudierons l’essentiel selon l’ordre chronologique et en fonction de leurs propos respectifs.

• Tout d’abord, une analyse générale du sujet établit aisément que le Coran traite en réalité la problématique selon trois modalités qu’il convient donc préalablement à toute lecture de distinguer avec rigueur. La terminologie le permet, et trois termes clef sont à noter, tous ayant d’ailleurs leurs correspondants en Droit français :

· wasyya : le legs testamentaire, les biens sont librement répartis par testament.

· ‘atyya : donation, les biens sont librement attribués par le donateur de son vivant.

· warth : l’héritage, les biens du défunt sont transmis par succession établie selon la loi.

Première constatation : du fait de la présence de trois approches distinctes, parler de « l’héritage dans le Coran  » est soit une généralisation abusive, soit un abord sélectif. Cet article étudiera les deux premiers points, pour l’essentiel l’importance de la wasyya ou legs testamentaire dans le Coran. Le prochain sera consacré à l’héritage proprement dit.

Bien évidemment, nous ne chercherons pas à établir des parallèles ou des voies de passage entre un énoncé coranique supposé archaïsant et une modernité prise comme référant. Cela n’est ni notre conviction, ni notre méthodologie, faudrait-il que nous eussions encore à le rappeler.

L’exposé à suivre est simple, il propose à qui veut nouer cette relation au Texte une lecture directe et strictement littérale des versets du Coran. Ce faisant, apparaîtra par contraste par quels artifices exégétiques il a été classiquement procédé à un détournement du sens coranique. Enfin, il nous faudra porter une attention toute particulière en cette analyse à la distinction des termes legs testamentaire et héritage, deux dispositions coraniques distinctes ci-dessus mentionnées, et veiller par conséquent à ne pas confondre legs ou testament et héritage.

I LA WASYYA OU LEGS TESTAMENTAIRE

Chronologiquement, il s’agit des trois premiers révélés quant au devenir des biens du défunt. Ils sont relatifs à la wasyya, le legs testamentaire, et situés en sourate « La génisse », ils sont donc de la première période médinoise. Premier constat : le Coran a ainsi amorcé son processus d’information et d’éducation en matière de succession par la notion de legs testamentaire et non point par le warth, l’héritage :

كُتِبَ عَلَيْكُمْ إِذَا حَضَرَ أَحَدَكُمُ الْمَوْتُ إِنْ تَرَكَ خَيْرًا الْوَصِيَّةُ لِلْوَالِدَيْنِ وَالْأَقْرَبِينَ بِالْمَعْرُوفِ حَقًّا عَلَى الْمُتَّقِينَ (180) فَمَنْ بَدَّلَهُ بَعْدَمَا سَمِعَهُ فَإِنَّمَا إِثْمُهُ عَلَى الَّذِينَ يُبَدِّلُونَهُ إِنَّ اللَّهَ سَمِيعٌ عَلِيمٌ (181) فَمَنْ خَافَ مِنْ مُوصٍ جَنَفًا أَوْ إِثْمًا فَأَصْلَحَ بَيْنَهُمْ فَلَا إِثْمَ عَلَيْهِ إِنَّ اللَّهَ غَفُورٌ رَحِيمٌ (182)

“ Il vous a été prescrit [kutiba ‘alaykum] – lorsque se présente à l’un de vous la mort et qu’il laisse des biens – le legs testamentaire [wasyya] en faveur des père et mère et des plus proches, convenablement. Ceci est un devoir pour les gens pieux.” V180.

“ Qui l’altérera [ce testament] après l’avoir entendu, vraiment ce péché n’incombe qu’aux falsificateurs. Certes, Dieu entent et sait.” V181.

“ Et qui craint du testateur [mûsi] quelque injustice ou iniquité et les réconcilie, alors pas de péché à cela. Certes, Dieu pardonne et fait miséricorde.” V182.

Verset 180.

– Le terme clef wasyya signifie legs testamentaire. Cette disposition, existante au demeurant dans le Droit français, permet de transmettre de son vivant des biens librement et dûment quantifiés aux personnes de son choix, que ce soit aux héritiers dits naturels ou à d’autres personnes non nécessairement bénéficiaires de l’héritage prévu par la loi. La racine wasâ indique à l’origine l’idée de réunir une chose à une autre d’où lier les générations par la transmission d’un bien, action nommée wasyya. Ce nom verbal a donc pris comme sens : legs testamentaire, testament, recommandation.

– Il est dit : « kutiba ‘alaykum  », compris comme signifiant « il vous a été prescrit  » alors que littéralement nous comprendrions : « il a été écrit ». L’emploi particulier de kutiba s’inscrit ici en une série de trois : « Il vous a été prescrit le talion » V178 et « Il vous a été prescrit le jeûne » V183. Ceci laisse peu de doute quant à son sens : il s’agit d’une prescription à caractère obligatoire.

L’on cite régulièrement à ce propos un hadîth prophétique rapporté par al Bukhârî, Muslim et d’autres : « Un musulman qui possède une chose et veut la léguer [sî] n’a pas le droit de passer trois nuits sans avoir rédigé son testament [wasyya]. »

Subtilement, ce verset se conclut par ces mots : « Ceci est un devoir pour les gens pieux  », l’accomplissement d’une obligation est ainsi subordonné à la piété et une prescription ne devient une obligation qu’en fonction de ladite piété.[3]

– Ce caractère obligatoire du legs [wasyya] a posé problème aux juristes, d’autant plus, nous le verrons, que cet aspect obligatoire est beaucoup moins évident concernant l’héritage légal proprement dit ! Certains durent donc sortir de leur turban exégétique le lapin abrogateur et déclarer ces versets abrogés par ceux relatifs à l’héritage ! Logique ! D1. Tabari, pour ne citer que lui, s’inscrit en faux contre cette affirmation, mais utilisera alors d’autres arguments pour réduire l’importance du legs testamentaire, wasyya. Quant à nous, nous nous sommes déjà exprimé sur l’impossibilité ontologique et textuelle du principe d’abrogation comme sur le respect strict de la lettre coranique[4]

– Au service de la même volonté d’effacement du Texte, signalons un propos attribué à Ibn ‘Abbâs rapporté par al Bukhârî : « Les biens revenaient à l’enfant et le legs était pour le père et la mère. Puis, Dieu a abrogé de cela ce qu’Il souhaita et Il a institué au garçon l’équivalent de la part de deux filles, pour chacun des deux parents le sixième, à la femme le huitième et le quart, et à l’homme la moitié et le quart. »

Le titre de la rubrique où al Bukhârî insère ce texte est en lui-même explicatif : « Pas de legs en faveur de l’héritier  ». Conformément à son point de vue de juriste, et de manière fort habile, al Bukhârî a construit l’intitulé de cette section en reprenant mot à mot un hadîth rapporté par Ibn Dâwud et Ibn Hanbal où le Prophète aurait dit : « Pas de legs en faveur de l’hériter » [lâ wasyyata liwârithin]. Mais, plus rigoureusement cette fois-ci, al Bukhârî ne peut y faire figurer les termes de ce hadîth car il ne remplit pas le cahier de charge du sahîh. Il le remplace alors par le propos attribué à Ibn Abbâs cité ci-dessus qui, lui, est réputé sahîh. Cette collusion fonctionne encore en tous les traités de Droit, fiqh, et nul ne doute que le Prophète aurait ainsi déclaré abrogés ces versets du Coran et que la wasyya ne serait qu’une mesure subalterne vis-à-vis de l’héritage ! Ici, donc, double détournement de sens. L’on appréciera tout autant l’élégance du procédé que la subtile volonté de manipulation des sources et des lecteurs, malgré tout l’islam et les musulmans… D2.

En réalité, ce propos n’engage au plus que son auteur, Ibn ‘Abbâs, et non pas le Prophète, et il exploite sans argument ni preuve le principe d’abrogation afin « d’harmoniser » le Coran à ce que le Droit voulut par la suite. A savoir, donner la prépondérance à l’héritage coranique au détriment de la wasyya en affirmant que l’obligation de legs ne vaut que pour ceux qui n’ont pas droit à l’héritage. De facto, nous le constaterons, ce rapport est exactement l’inverse dans le Coran, l’héritage coranique ne concerne que le reliquat des biens non distribués par legs testamentaire, wasyya. D3.

– Le verset 180 énonce : « Il vous a été prescrit – lorsque se présente à l’un de vous la mort et qu’il laisse des biens  » et précise alors le procédé et les bénéficiaires possibles : « Il vous a été prescrit… le legs testamentaire [wasyya] en faveur des père et mère et des plus proches  ».

Notons que le Coran emploie le duel al wâlidayn, les deux parents, pour désigner comme d’usage le père et la mère. Nombreux sont les exégètes, tel Tabari, et les juristes à avoir affirmé qu’ici le terme wâlidayn devait signifier abâ’u : l’ensemble des parents du coté paternel et du coté maternel à l’exception justement du père et de la mère du testateur !   Cette allégation est linguistiquement erronée et s’oppose à la précision sémantique du Coran qui, utilisant effectivement ces deux termes, ne les confond jamais ! La volonté de détournement textuel est encore une fois manifeste : il s’agit pour ces « interprétateurs » de réduire de force la répartition des legs en fonction des règles de l’héritage et de fournir une légitimation rétrospective aux hadîths ci-dessus mentionnés. D4.

– Le mot al aqrabîn, « des plus proches », désigne la deuxième catégorie de bénéficiaires du legs après les deux parents. Il a été lui aussi l’enjeu de joutes exégétiques. Il qualifie littéralement ce qui est le plus proche sans trop d’exactitude. L’on traduit d’ordinaire cette expression par « proches parents » ce qui a pour défaut de ne pas nécessairement inclure les enfants du défunt. Pour éviter ce sous-entendu non conforme à la lettre coranique, nous avons donc traduit par « les plus proches », forme littérale qui conserve l’imprécision et la globalité voulue de l’original. Par ailleurs, nous trouverons en S4.V8 la locution ûlû-l-qurbâ qui correspond alors selon le contexte évident aux proches, ici sans précision de liens familiaux. Conséquemment, par al aqrabîn, les plus proches, le Coran désigne les proches de la famille, enfants et proches parents inclus. Il convenait donc de distinguer par la traduction ces deux catégories de bénéficiaires comme, encore une fois, de respecter la rigueur sémantique du Coran. D5.

– « et qu’il laisse des biens ». Le texte coranique emploie le singulier « un bien », khairan. Le procédé littéraire est à l’inverse du français où le pluriel « des biens » peut désigner une seule chose, comme une maison ou une propriété. En arabe, le singulier peut englober plusieurs biens matériels exactement comme le singulier mâl représente les numéraires ou les biens. D’aucuns, tel az-Zamakhsharî, ont supposé qu’il fallait que ces biens soient abondants pour tomber sous le coup de l’obligation d’en faire legs par wasyya. Cette affirmation ne repose sur aucun support linguistique ou coranique, mais traduit encore une fois ce que le juridique a voulu par la suite. Nous verrons au sujet de S4.V7-8 que le Coran, au contraire, n’impose aucune limitation à ces legs. D6.

– De nombreuses traductions rendent la locution bi-l- ma‘rûf par : « selon la coutume » ou « de manière reconnue » ou « selon l’usage », ce qui indiquerait qu’il existait déjà une règle connue quant à la répartition des biens. Si tel avait était le sens voulu il n’y aurait eu aucune raison logique pour le Coran à prescrire cette wasyya. Il faut donc comprendre l’expression bi-l- ma‘rûf en fonction de l’étymologie comme signifiant correctement, convenablement, en bien, bon, de belle manière, nous avons traduit par : «  convenablement  ». Aussi, ce classique discret glissement de sens et de traduction imposé au texte coranique a pour conséquence de réduire la wasyya à une coutume alors même qu’il s’agit d’une prescription importante et principale du Coran. D7.

– Au final, le sens obvie littéral de ce verset est parfaitement explicite et se suffit à lui-même. Lorsqu’un texte est sémantiquement complet et non équivoque, toute extrapolation est dépassement. En ce verset, il est prescrit à tout musulman de léguer par testament, wasyya, dès lors qu’il possède quelques biens, une part librement déterminée de ses biens à ses deux parents [s’ils sont encore en vie s’entend] ainsi qu’à ses plus proches, c’est-à-dire ses enfants et autres proches parents.

Verset 181.

Il indique que le testament a ici une forme orale : « qui altérera [ce testament] après l’avoir entendu  ». Une révélation chronologiquement postérieure, en S5.V106-108, insistera sur le fait de s’assurer de la présence de deux témoins et de leur honorabilité lorsque le testateur dicte son testament. En ces versets, un doute littéral persiste quant à savoir si cette dictée est écrite ou purement orale. Ceci a pour avantage de valider sans problème ces deux formes testamentaires et de permettre une adaptation évolutive.

Verset 182.

« Et qui craint du testateur [mûsi] quelque injustice ou iniquité et les réconcilie, alors pas de péché à cela. » Ce verset n’indique pas la possibilité de modifier post-mortem les dispositions du testament. Le segment « et les réconcilie » concerne des bénéficiaires, ou des non-bénéficiaires, qui se seraient estimés lésés par les dispositions du testateur. Il est ainsi stipulé que l’on puisse rechercher entre eux un accord à l’amiable, sans plus de précision. Le texte en apparence ne dirait pas si cette réconciliation est purement d’ordre relationnel ou comprend des arrangements quant aux biens échus entre les destinataires. Toutefois, la locution complémentaire « alors pas de péché à cela », litt. « alors pas de péché sur lui » n’aurait aucune raison d’être s’il ne s’agissait que de régler des différents relationnels, car cela n’a jamais été un péché, bien au contraire. Par conséquent, cette remarque vaut pour le fait de rééquilibrer par conciliation la répartition des biens testés entre les bénéficiaires s’estimant lésés. Ces réarrangements post-mortem ne sont donc pas considérés comme équivalent à une modification volontaire du testament, altérations condamnées au verset 181. C’est la recherche du bien de tous qui doit ici servir de guide : « Ceci est un devoir pour les gens pieux  » et «  Dieu pardonne et fait miséricorde  ».

– Un hadîth bien connu et abondamment exploité vise à réduire la quantité de biens susceptibles d’être légués. Il est rapporté notamment par al Bukhârî. En ce récit un peu long, Abû Waqqâs demanda au Prophète : « Puis-je léguer les deux tiers de mes biens ? – Il répondit : non. – Je dis : la moitié ? – Non. – Il dit : le tiers, et le tiers c’est beaucoup… » Manifestement, nous aurions là un cas de spécification par le Prophète du cas général énoncé par le Coran, une réduction de la wasyya. Si l’on pourrait admettre que le Prophète pût spécifier des cas généraux coraniques, nous ne devons pas confondre spécification et restriction. L’on peut spécifier des éléments non explicitement mentionnés, mais non restreindre ce qui a été explicitement non limité. En effet, d’une part, les versets que nous avons mentionnés n’indiquaient effectivement aucune limitation et, d’autre part, nous trouvons confirmation en un autre passage du fait que le Coran n’envisage pas que puisse être considéré un système de limitation, même théorique, en matière d’attribution de la wasyya.

وَالَّذِينَ يُتَوَفَّوْنَ مِنْكُمْ وَيَذَرُونَ أَزْوَاجًا وَصِيَّةً لِأَزْوَاجِهِمْ مَتَاعًا إِلَى الْحَوْلِ غَيْرَ إِخْرَاجٍ فَإِنْ خَرَجْنَ فَلَا جُنَاحَ عَلَيْكُمْ فِي مَا فَعَلْنَ فِي أَنْفُسِهِنَّ مِنْ مَعْرُوفٍ وَاللَّهُ عَزِيزٌ حَكِيمٌ (240)  

“ Ceux d’entre vous dont la fin est proche et qui laisseraient des épouses, alors qu’ils fassent un legs testamentaire [wasyya] en faveur de leurs conjointes : de quoi subvenir une année, sans expulsion…” S2.V240.

– Chronologiquement, ce verset fait partie du groupe relatif à la wasyya dont il constitue un cas appliqué. Concrètement, lorsque le défunt n’est pas très riche il peut arriver régulièrement que cette provision de un an dépasse largement le tiers des biens, il n’est donc pas possible d’instituer un plafonnement de la wasyya. Ce constat coranique s’oppose directement et clairement à ce que soutient le hadîth ci-dessus évoqué. Il n’est donc pas cohérent d’admettre que ce propos ait pu être prononcé par le Prophète, le hadîth fût-il techniquement authentifié, sahîh. D8.

Notons qu’une telle mesure vise à assurer une vie décente à la veuve, c’est dire aussi qu’il faille lui laisser une autonomie financière. Dans le contexte de vie et de survie de l’époque cela signifiait lui permettre de ne point être dans l’obligation de se remarier par nécessité. Il s’agit bien d’un legs sans notion de part ou de quotité. La veuve est ici bénéficiaire hors des cas prévus en sus par l’héritage.[5]

– L’objectif de l’exégèse juridique étant de mettre en avant uniquement l’héritage par quotes-parts au détriment de la prescription coranique de la wasyya, il fut décidé d’élimer ce verset des tablettes et par là même de légitimer rétrospectivement la fausse preuve prophétique de limitation au tiers des biens pour la wasyya, deux précautions valent mieux qu’une. Il fut donc déclaré par certains que ce verset était abrogé en vertu de S2.V234 qui fixe le délai de vacuité des veuves à quatre mois et dix jours ! Bien qu’il n’y ait pas vraiment de rapport entre les deux textes de ces versets, l’on sent poindre l’argument : si une veuve peut être épousée après un délai de quatre mois et dix jours, alors pourquoi lui donner un an de vivres ?! On appréciera le réalisme pragmatique… D9.

• Par ailleurs, nous pouvons lire deux versets révélés postérieurement aux précédents :

لِلرِّجَالِ نَصِيبٌ مِمَّا تَرَكَ الْوَالِدَانِ وَالْأَقْرَبُونَ وَلِلنِّسَاءِ نَصِيبٌ مِمَّا تَرَكَ الْوَالِدَانِ وَالْأَقْرَبُونَ مِمَّا قَلَّ مِنْهُ أَوْ كَثُرَ نَصِيبًا مَفْرُوضًا (7) وَإِذَا حَضَرَ الْقِسْمَةَ أُولُو الْقُرْبَى وَالْيَتَامَى وَالْمَسَاكِينُ فَارْزُقُوهُمْ مِنْهُ وَقُولُوا لَهُمْ قَوْلًا مَعْرُوفًا

“ Aux hommes une part [nasîbun] de ce qu’auront laissé père et mère et les plus proches. Aux femmes une part de qu’auront laissé père et mère et les plus proches [al aqrabûn]. De cela, peu ou beaucoup, une part déterminée [mafrûdan]. Et lorsqu’assistent au partage les proches [ûlû-l-qurbâ], les orphelins et les nécessiteux, prélevez-en pour eux et tenez leur propos convenable.” S4.V7-8. 

– Une difficulté : comment déterminer le sujet traité en ces deux versets ? Dans le contexte court (nous sommes au début de S4), trois hypothèses sont envisageables :

1. Il s’agit de la restitution et de la distribution de leurs biens aux orphelins, thème principal depuis le début de la sourate, restitution stipulée au verset 6 et dont il sera encore question au verset 10.

2. Il s’agit d’une allusion aux parts de l’héritage, héritage qui sera abordé en détail aux versets 11-12.

3. Il s’agit d’un rappel concernant l’obligation de legs testamentaire, la wasyya.

– Hypothèse 1 : Dans le contexte littéral immédiat, il serait théoriquement possible que ce verset soit relatif à ce problème, mais l’expression « de cela peu ou beaucoup  » élime cette probabilité, les biens de l’orphelin doivent lui être remis en totalité.

– Hypothèse 2 : Le très concis segment « de cela peu ou beaucoup  », « mimmâ qalla minhu aw kathur  » nécessite d’être bien compris. En ce verset, pour minhu, de lui, le pronom lui peut représenter en théorie soit « la part », nasîbun, masculin en arabe, soit ce qui « a été laissé  ». Mais, syntaxiquement, ce segment est obligatoirement rattaché à ce qui le précède et se lit littéralement ainsi : une part […] de ce qui est un peu de lui ou beaucoup. C’est donc, puisqu’il ne peut y avoir en ce cas de répétition légitime, que « de lui » représente l’autre élément, ce qui a été laissé, le bien du défunt. La traduction française impose toutefois de ne pas retraduire le segment « de lui », mais par « de cela peu ou beaucoup  » l’on doit comprendre : attribuez une part des biens du défunt, peu ou beaucoup, c.à.d. comme vous le désirez. Ceci étant posé, il ne peut s’agir ici de l’héritage dont les parts sont a priori des quotes-parts établies au prorata et non réductibles ou augmentables.[6] Par conséquent, ce verset ne traite pas de l’héritage.[7]

– Hypothèse 3 : Il est donc dit que devra être légué un peu ou beaucoup des biens que l’on possède, librement, ceci correspond bien au cas de la wasyya.[8] Pareillement, les mêmes termes supposent qu’il n’y ait pas de limitation quantitative et qu’ainsi une personne puisse léguer la totalité de ses biens.

– L’expression « une part déterminée » indique que les parts léguées doivent être précisément déterminées par le testament. Il est incorrect de traduire cette expression par « part obligatoire  », traduction qui induit une fâcheuse confusion d’avec le principe régissant l’héritage. Le terme mafrûdan, que l’on assimile plus ou moins inconsciemment, ou plus ou moins consciemment, au mot fard, obligation divine, de même racine, signifie étymologiquement déterminé. La collusion est entretenue par le vocabulaire juridique qui désigna ces parts fixes de l’héritage, les quotes-parts, par le pluriel farâ’id. D10.

De même, ce n’est que l’usage juridique post-coranique qui a limité la signification de mafrûdan à ce domaine technique avec les sens de : assigné, prescrit, obligatoire. D11.

Néanmoins, l’on retrouve l’expression nasîban mafrûdan une seule autre fois en le Coran, toujours en S4, au verset 118, où Satan dit : « Je saisirais parmi Tes serviteurs une part déterminée [nasîban mafrûdan] » sens incontournable qui confirme notre analyse.[9]

– Ce verset confirme donc qu’il n’y a pas dans la wasyya de quotes-parts, répartition au prorata, mais que les parts sont en fonction de la volonté du testateur. Notons qu’énoncer « aux hommes une part  » et « aux femmes une part », pourrait sembler s’opposer à ce qui va être formulé trois versets après au sujet de l’héritage et de la dissymétrie des parts entre les hommes et les femmes. En réalité, ceci n’est pas contradictoire, le legs a ses règles, l’héritage les siennes, ce n’est que l’équivoque entretenue entre ces deux principes coraniques qui génère cette pseudo situation. Par ailleurs, la symétrie textuelle dans le rapport homme/femme pourrait laisser entendre, sans que cela soit malgré tout explicitement exprimé, que dans le cas de la wasyya les parts devraient être égales. Tout du moins, littéralement elles pourraient l’être et rien de même ne l’interdit, ce qui est tout à fait conforme à l’esprit général du Coran en matière d’égalité.

Au final : Le Coran donne une grande importance à la wasyya [S2.V180-183 ; S2.V240 ; S4.V7-8]. Il s’agit d’une obligation de legs par testament, oral ou écrit, fait de son vivant et devant témoins. Ces legs bénéficient expressément à la veuve, au père et à la mère du défunt s’ils sont encore de ce monde ainsi qu’aux enfants ou autres membres proches de la famille. Il n’est ici établi aucune distinction entre les hommes ou les femmes et la répartition des biens est libre, sans quotes-parts. Enfin, le Coran autorise à répartir selon ce principe la totalité de ses biens.

II LA DONATION

– Le don ou sadaqa est bien évidemment éminemment recommandé dans le Coran, mais ici nous entendons plus particulièrement le don fait dans les perspectives du décès, ‘atyya, donation, dit aussi hiba. Cette mesure concerne des bénéficiaires qui ne sont pas membres de la famille, et nous avons déjà cité : “ Et lorsqu’assistent au partage les proches, les orphelins et les nécessiteux, prélevez-en pour eux et tenez-leur propos convenable.” S4.V7-8. Nous ajouterons : “ A chacun, Nous avons désigné des ayants droits[10] sur ce qu’ont laissé père et mère et proches parents, ainsi qu’à ceux liés par vos contrats, donnez-leur donc leur part. Certes, Dieu de toutes choses est témoin !” S4.V33. Voir aussi : S8.V75 ; S33.V6.

 – Nous notons que l’ensemble des versets relatifs à la donation cité ci-dessus est postérieur aux versets concernant la wasyya, legs testamentaire. Cette nouvelle incitation à une répartition hors liens du sang des biens visent donc à prolonger et à élargir encore plus le champ d’application du legs testamentaire. L’objectif du Coran semble bien être de dépasser la notion même de transmission familiale afin d’établir une réelle répartition des richesses, une solidarité vraie entre les membres de la société.

CONCLUSION

Notre étude littérale des versets relatifs à la wasyya, ou legs testamentaire, a mis en évidence trois faits essentiels :

– Premièrement, il s’agit chronologiquement de la première disposition prise par le Coran.

– Deuxièmement, cette prescription par testament, oral ou écrit, a un caractère d’obligation.

– Troisièmement, le testateur peut répartir librement ses biens qu’il s’agisse de les léguer à des hommes ou des femmes.

Il est loisible de constater que ces mesures sont aussi sages que libérales et qu’elles ne contreviennent ou ne contredisent en rien le principe d’égalité coranique entre les hommes et les femmes tel que nous l’avons précédemment mis en exergue.[11]

Ceci étant, il est pareillement aisé d’observer que ces quelques versets ont subi de très nombreux assauts exégétiques afin d’être, soit purement effacés par abrogation ex cathedra, soit minorés en leur application s’agissant des ayants droits ou du montant ainsi légué, soit réduits à un rôle secondaire en regard de l’héritage. Nous avons pointé au long de notre analyse ces tentatives de détournement de D1 à D11. L’on aura de même remarqué que l’écart entre l’analyse littérale et la subjectivité juridico-interprétative de l’exégèse classique est très important ; par les jeux d’artifices qui leur sont propres, les exégètes parviennent parfois à créer et édicter un sens à contre Coran. Il en sera de même pour le volet à suivre consacré à l’héritage selon le Coran.

Cet exemple aura mis en évidence un des processus d’élaboration de l’islam historique, ici sous l’aspect du Droit musulman à partir d’une pression exégétique constante. Le prochain article, consacré à la notion d’héritage dans le Coran montrera comment ce même Droit, fiqh, aura réussi à imposer prioritairement le principe pourtant secondaire de l’héritage, warth, tout en marginalisant le legs testamentaire ou wasyya pourtant obligatoire et premier. Ce faisant, ce Droit a prétendument au nom du Coran inscrit en l’islam historique le principe juridique d’iniquité : un homme vaut deux femmes ou une femme vaut la moitié d’un homme. Fiction exégétique dictée à la réalité textuelle coranique, mais qui informe encore puissamment les mentalités des musulmans.

Enfin, en toute modestie, sans aucune prétention à dicter, notre unique objectif au travers de la lecture littérale du Coran objectivement menée sera de fonder à l’origine, le Texte, et pour qui le désire, une relecture du musulman lui-même, une “réforme” de ses mentalités.


 

[1] Cf. Égalité des hommes & des femmes, volets 1 ; 2 ; 3. Les deux articles consacrés à « L’héritage dans le Coran », répondent à la deuxième des 15 objections listées en « Égalité des hommes et des femmes 1 ». Ces questions sont autant de points régulièrement soulevés et supposés montrer la contradiction entre le principe d’égalité plénière entre les hommes et les femmes énoncé a priori dans le Coran et une série de mesures ou édictions coraniques prétendument discriminatives à l’égard des femmes.

[2] Cf. S2.V180-182 ; S2.V240 ; S4.V7-8 ; S4.V11-14 ; S4.V19 ; S4.V33 ; S4.V176 ; S5.V106-108 ; S8.V75 ; S33.V6.

[3] Ceci justifie à mon sens l’expression coranique kutiba ; dans les trois passages consécutifs précédemment cités, la notion de piété y est explicitement mentionnée en tant que moteur de la mise en œuvre. Une confirmation définitive nécessiterait une étude systématique de l’ensemble de ces occurrences dans le Coran.

[4] Cf. notamment : « Point de contrainte en religion – Réfutation de l’abrogation ; Un colosse aux pieds d’argile.  »

[5] Ceci correspond au douaire de l’ancien usage français.

[6] Les traductions du type : « que ce soit peu ou beaucoup » sont incorrectes et égarent le sens en laissant à penser que cela pourrait désigner le montant des quotes-parts de l’héritage qui, effectivement, peuvent être plus ou moins importantes.

[7] De plus, au verset 8 il est dit : « Et lorsqu’assistent au partage les proches… » L’emploi du mot partage, qisma, ne plaide pas ici en faveur de l’héritage qui est une répartition selon l’ordre indiqué par le Coran, mais correspond bien dans les faits à la wasyya.

[8] L’on notera la mention des père et mère, al wâlidayn, et de al aqrabûn, les plus proches. Ces termes sont identiques à ceux des versets précédemment cités au sujet de la wasyya alors même que ces deux mots sont absents des versets traitant de l’héritage. Au passage, ceci illustre la grande précision sémantique et terminologique du Coran.

[9] Pour un même traducteur, la comparaison de la traduction concernant ces deux versets met le plus souvent en évidence des choix différents.

[10] La traduction diffusée par l’Arabie Saoudite, et d’autres, traduisent mawâlî par héritiers. Cet abus de sens a comme pour objectif de resserrer la focale sur l’héritage. C’est ainsi par « (re) touches » successives que l’on parvient à inscrire l’héritage à parts déterminées comme prioritaire au détriment du Coran qui quant à lui privilégie la wasyya. Ceci permit l’inscription et le maintien dans l’islam de la ségrégation entre hommes et femmes, point de fixation et axe de construction du juridisme classique comme antique obsession du néo-wahhabisme.

[11] Cf. note1.

Source : http://oumma.com/L-heritage-dans-le-Coran-Loi

 

Réformer le Coran ?! Vers la réforme coranique par Dr Al ’Ajamî

Le présent texte est le premier volet d’un triptyque consacré à une réflexion générale ayant pour thème le concept de réforme islamique. Il sera donc nécessaire de considérer chacun de ces trois documents en fonction de l’ensemble de ce projet conceptuel

• Peut-on réformer le Coran ?

Récemment, sur Oumma, un honnête homme s’inquiétait de ce que l’on veuille « réformer le Coran », et de citer alors l’éminent Malek Bennabi : « C’est l’homme musulman qu’il faut réformer et non pas le Coran. » Le message semble limpide et aussi indiscutable qu’un postulat : le problème n’est pas la Révélation, le Coran, mais le comportement des musulmans. Peut-être nous faudrait-il comprendre là que le Coran, le Livre, n’aurait de sens et de valeur que de par les hommes qui le lisent puisque l’agir ou le propos d’un musulman repose toujours pour partie sur une lecture du Coran. Nous le savons, un autre regard, un autre cœur, perçoit du Coran un autre discours ; qui la paix et qui la guerre, qui l’amour et qui la haine. Par suite, si le Coran est un texte intangible, mais sa lecture éminemment labile, sujette au changement du temps, à la volonté comme à l’usure des hommes, le Coran s’en trouverait de facto en permanence réformé. Ainsi, à le dire vrai, « réformer le Coran » est une locution vide de sens alors même que l’expression « réformer l’homme musulman » s’entend aisément.

Mais, au-delà de ces premières impressions, la question tout de même interpelle : Qu’est-ce donc que réformer le Coran ? Je ne le sais, le texte existe, il est connu, ses variantes aussi, il n’est donc pas possible de le re-former ni de le réformer, car réformer c’est, d’une manière ou d’une autre, ramener à la forme initiale. Ainsi, réformer le Coran supposerait stricto sensu que le Coran actuel ne soit pas le texte originel ! La réforme, quant à elle, est un changement en vue d’une amélioration et, aporie s’il en est, le Coran ne peut-être à l’évidence l’objet d’une réforme, d’un perfectionnement. Par contre, l’homme, par définition imparfait et perfectible, peut et doit être le lieu permanent d’une réforme. L’expression « musulman réformiste » ne peut donc qualifier que l’homme musulman réformant son être, ce qu’au demeurant le Coran indique en certaines acceptions du terme islâh, réforme vers le bien auquel tout croyant aspire. Par voie de conséquence, un musulman réformiste ne saurait être à même de vouloir réformer le Coran, mais bien plutôt de vouloir s’y conformer.

Or, se réformer est par définition chercher à revenir soi-même à une forme initiale, et peut-être nous fallait-il comprendre par cette apostrophe que le Coran est un seul et unique message vers lequel l’homme musulman doit sans cesse tendre, comme pour redresser le cap dévié par un phénomène obligatoire de dérive temporelle, intellectuelle, spirituelle.

Il n’y a donc pas de « réforme du Coran » à mener, mais, bel et bien, une réforme coranique, et cette réforme coranique recouvre deux sens :

1- Réformer notre lecture du Coran.

2- Réformer notre être par le Coran.

Ce dernier aspect sera envisagé au prochain article « L’islam est-il parfait ? »  ; il est essentiel en tant qu’application, et il sera le vecteur de la réforme de l’homme musulman, mais il ne peut faire l’économie préalable de la première proposition : réformer notre lecture du Coran.

• Fondamentalement, la question sera alors : lisons-nous le Coran ?

Il s’agit de nous interroger sur la pertinence des lectures, c’est-à-dire des compréhensions, que nous faisons du Coran, et ce, alors même que nos structures mentales, le fruit de notre éducation, s’opposent à ce que nous ayons un regard critique sur ces lectures du Coran. Nous ne disons point un regard critique sur le Coran, remettre en cause les lectures faites du Coran n’est pas remettre en cause le Coran, ne nous laissons pas égarer par ce leurre en forme de menace. Voilà une autre réforme, une réforme intérieure, une remise en cause de l’ensemble de nos certitudes, notre paradigme islam, afin de pouvoir questionner le Texte par les outils de la raison critique. Lire le Coran avec nos propres yeux et non au travers de grilles de lectures préfabriquées, véritables burqa de l’esprit, habillement traditionnel de nos pensées, lourd héritage de notre passé. En contre-point, il ne faudrait pas croire que les méthodologies actuelles soient les uniques clefs de décodage du texte coranique. Lire le Coran à l’aune de l’apport des Sciences Humaines est un credo porteur, mais l’on oublie de nous préciser que les Sciences humaines ne sont pas des sciences, mais qu’elles sont assujetties à l’homme, ses limites, ses intentions, son cœur, sa pureté. Si l’arbre dépend de ses racines, tout s’origine en le germe. Le Coran s’apprend et s’entend par le Coran, il impose que nous sachions innover et élaborer des outils qui lui soient spécifiques. Voilà bien une révolution, la révolution coranique… un printemps exégétique !

• La question véritable est donc bien : comprenons-nous le Coran ?

Si nous pensons que les anciens étaient, par quelque mystérieuse alchimie les plus aptes à cela, alors, effectivement, nous ne pouvons ni ne devons lire le Coran qu’en chaussant leurs lunettes. En quelque sorte, suivre une lecture historique restée en panne du mouvement de l’Histoire il y a sept siècles, quelque part entre Bagdad et Cordoue. Par ailleurs, nous l’avons souvent abordé, l’universalité et l’intemporalité sont deux postulats coraniques essentiels supposant que le Message du Coran soit capable de dépasser les marques du temps et du social, le culturel, les paradigmatiques. Parce que le Coran ne cesse d’être la Révélation de Dieu adressée aux hommes pour tous les temps et tous les lieux, alors nous pouvons et devons le lire avec notre regard, regard issu de notre vie, de notre temps et de notre culture.

• La question devient ainsi : avons-nous su lire le Coran ?

Le Coran repose sous la gangue d’une histoire sainte inlassablement ressassée et il nous faut à présent strate par strate apprendre à remonter le temps vers la Mère du Livre. Atteindre le texte à l’état brut, la révélation pure avant qu’elle ne soit prise en charge par les hommes, avant qu’ils ne l’aient précipitée dans l’Histoire et qu’elle devînt bien plus leurs paroles que Celle de Dieu. Il s’agit donc, tout simplement, de comprendre que le texte révélé ne nous est accessible qu’au travers d’une lecture mise en place par des siècles d’orthodoxie, ladite orthodoxie ayant d’ailleurs nécessité des siècles pour se constituer. Autrement dit, le texte révélé ne nous est compréhensible que par cet intermédiaire. Cela est si vrai que lorsqu’un non-musulman s’y aventure il est immanquablement dérouté par cet étrange livre. Ce que vous voyez s’y dérouler de l’histoire de l’Islam, du Prophète, des anciens prophètes, de la pratique, du fiqh, de la sharia, rien de tout cela ne lui apparaît, tout lui semble ou trop allusif ou trop obscur, à tout le moins sibyllin. Si donc le Coran nous parle, c’est que nous avons appris à l’entendre et ce sont bien nos acquis qui nous fournissent le sens du Coran et non le Coran qui nous fournit du sens. Nous ne lisons pas le Coran, nous le disons.

• La question est alors : comment lire le Coran ?

Il est bien évidemment insuffisant, si ce n’est insignifiant, de proclamer, comme nous l’avons fait, qu’il faille lire le Coran avec nos yeux, notre regard d’homme et de femme actuels. En cette propédeutique s’affrontent les tenants d’une vérité éternelle détenue par les doctes et ceux qui s’en réclament et les modernistes herméneutes prêchant pour l’interprétation et la multiplication infinie des sens. Si les premiers rament à pieds secs, les seconds se noient en leurs mers intérieures. D’autres constatent l’impossible écart entre un document contemporain d’une époque aux mœurs particulières et l’évolution des mentalités actuelles et s’affairent au chevet du malade à prescrire des remèdes plus ou moins drastiques. D’autres encore, à la recherche du « moment coranique » diluent au final le texte dans l’Histoire. Le blasphème serait bien de prétendre lire le Coran pour nous-mêmes, lui donner le sens que nous sentons ou présentons ou souhaitons, une lecture subjective tout au service de notre « nous », un autre « moi ». Lire le Coran par soi-même n’est pas le lire pour nous-mêmes !

• La question pourrait être : le Coran a-t-il du sens ?

Les adeptes de l’École des sciences humaines soutiennent en réalité que tout texte est un non-sens en soi puisque par définition il est structurellement un lieu d’interprétation, de sens infinis. La science de l’homme s’en trouve magnifiée et la Science de Dieu disqualifiée ! S’il n’est pas possible à partir d’un texte, de mots, d’une structure sémantique, de décoder un sens et un seul , alors, d’une part, vous n’êtes pas en mesure de comprendre ce que je suis en train de vous dire et, d’autre part, le Coran est une entreprise vouée à l’échec. Mais à quoi donc nous servirait le Coran si nous ne pouvions en connaitre le contenu ? A quoi sert la Révélation ? Saurions-nous adeptes du « Moi » au point que nous pensions nous dispenser de la Révélation pour savoir et comprendre le sens de nos vies ?! Je confesse, en pleine modestie, que sans guidée il n’y a pas de chemin droit possible, seulement des tentatives. Il y a une philosophie latente en Occident qui infiltre les esprits et les cœurs, elle place l’homme au centre du discours et de la connaissance, un remplacement de Dieu par le soi personnel. Si nous ni prenons garde et maintenons le Coran dans le non-sens il ne deviendra qu’un objet rituel, quelques rêveuses calligraphies ; un livre mort, une parole morte, un Message mort.

• La question est donc : quel est le sens du Coran ?

Mais qui donc pourrait oser prétendre ce que dit vraiment le Coran ?! La post-modernité est déconstructiviste, et la recherche du sens ou, pire encore, du vrai sens, serait une utopie pour esprits simples ou dérangés. Autrement dit, il serait impossible de rompre le cercle hermétique et tout texte nous échapperait à jamais en une cascade infinie d’interprétations. Voilà bien une fantasmatique affirmation issue des sciences humaines et sociales dont l’objectif premier est de disqualifier tout ce que ces « sciences » ne sont pas capables de cerner. Curieusement, seuls les postulats et paradigmes de ces disciplines seraient par eux-mêmes explicites et auraient un sens non interprétable, voire seraient vérités intangibles. A l’ombre des discours actuels, vous pouvez choisir la voie de l’interprétation et sublimer le Coran, et votre intelligence, en proclamant ce texte porteur d’une infinité de sens. Le Coran devient ainsi le reflet des pensées des hommes, effectivement un océan, mais en lequel nous nous noyons. Au concret, vous disposez en fait d’un Coran qui n’a aucun sens.

Vous pouvez aussi lire le sens unique imposé par les résumés de l’histoire exégétique, auquel cas il faudra que vous régliez votre horloge personnelle quelques siècles en arrière, vous pourrez progresser à reculons, c’est subjectivement confortable. Vous pouvez enfin admettre, ou comprendre, que le Coran est un Message délivré qui pour être entendu exige une grande disponibilité d’écoute. Face au Coran, il est ainsi vain d’être passéiste ou moderne, il nous faudra simplement être présents, nus, natifs, sans connaissance, à l’écoute. En cette instantanéité, le Coran sera en permanence en avance sur nous, ce sont nos conceptions qui sont anachroniques. Chaque fois que nous sommes à même d’entendre son discours réel, le Message, il dépasse ce que nous sommes capables de saisir ou de vivre de notre réalité, un unique sens n’est pas un sens unique. Ceci explique que toute tentative moderniste d’interprétation du Coran, comme toute volonté de lecture rétrograde, est irrémédiablement un non-sens, une perte sèche de la signification du Message coranique. Sans présent, le Coran n’a pas d’avenir !

• La question est ainsi : le Coran a-t-il un seul sens ?

J’ai déjà montré que les lectures de S3.7 n’étaient qu’une entreprise rétroactive visant à justifier les divergences d’opinions des exégètes sous couvert d’une prétendue multiplicité ou équivocité de sens du Coran. Clou de ce numéro de prestidigitation exégétique, seul Dieu connaitrait le sens de son propos ! Or, le Coran postule à de nombreuses reprises de son explicité et de sa non-ambiguïté, de son univocité. Univocité essentielle à l’intelligence de la Révélation, et nous devons considérer en saine logique que Dieu a délivré un message et pas mille, alors, et seulement en ce cas, nous nous mettrons en quête du sens. J’avoue que ce n’est pas le choix le plus facile. La profession de foi nous enseigne que Dieu est unique et que Muhammad est Son Messager. Le Coran délivre du Dieu unique un Message unique. Le mot Message avec une majuscule est pertinent, nous le devons probablement à Muhammad Asad. Il suppose l’existence coranique d’un unique sens dont l’essence est universelle et intemporelle. Il indique aussi que les projections de l’Histoire sont des accidents qui ne doivent pas nécessairement être pris en compte, la lecture doit chercher sens au véritable instant de révélation. Ce sens présent n’existe que dans le texte et il est le Message qu’il délivre. Ce Message ne peut s’obtenir que par une analyse littérale minutieuse, technique de lecture dont les prémices sont le dépouillement absolu de notre être, l’abandon de nos certitudes et de nos présumées connaissances, le point zéro des préjugés et des prérequis. On l’aura compris, il n’est pas présentement de mon sujet de discuter de la méthodologie proprement dite – je l’ai présentée partiellement en d’autres articles comme je l’ai illustrée au concret à chaque verset analysé littéralement –, mais de préciser les conditions qui y président, conditions théoriques et conditions pratiques.

• La dernière question sera : qui connaît le sens du Coran ?

Quelle inconnaissance dans les certitudes et quelle folie quand la foi rejette la raison ! Quel orgueil y aurait-il à chercher le sens ? Mais quelle prétention que de dire le sens ! Quel silence au delà du mur des évidences ! Quelle inconscience que de vouloir unir ce qui désuni ! Que de fois le Coran nous rappelle que Dieu a bien adressé un Message aux hommes, mais qu’ils ont divergé quand leur furent parvenu les preuves, les éléments de ce discours, les Signes ou âyât de Dieu. Avons-nous fait autrement ? ! A l’aube du dernier Jour ne serait-il point temps que nous apprenions à lire le Coran à sa juste lettre. Que nous ne ressassions plus ce que nous avons dit que le Coran dit. Face au Coran, dire : « Je pense » ne suffit pas à la raison. Dire « Je sais » n’est qu’ignorance. Dire « Je crois » insulte la foi et la raison.

Mais, dire « Je cherche » est la clef de l’esprit et du cœur. Soyons donc des chercheurs du sens ; que le Coran nous invite à la fête du sens, que nous puissions recevoir la lumière du Message, que nous cessions de l’obscurcir par nos suffisances et insuffisances, que s’ouvrent nos esprits et nos cœurs au chemin de droiture. Cet à cet effort que le Coran nous appelle, la quête du sens.

Ne connaitra donc le sens du Coran que le chercheur. Le savant, lui, sait, il ne cherche pas. Le chercheur, lui, lit et écoute le Coran lui parler, lui délivrer son message, des mots, des phrases, du sens. Soyons donc tous des chercheurs, car si la Vérité a été donnée il y a maintenant 1400 ans à une seule personne, l’ultime Messager, la mettre à jour dans le texte transmis ne pourra être l’œuvre que de tous. Hommes et femmes d’esprit et de cœur, amoureux du Coran et de Dieu et non d’eux-mêmes. Hommes et femmes dont la seule certitude et de ne point en avoir. Hommes et femmes de modestie et d’ouverture. Hommes et femmes de foi et de raison, lumière sur lumière. Seules l’énergie et la bonne volonté de tous permettront d’accomplir cette révolution, la réforme coranique.

Dr Al Ajamî

Source : oumma.com

 

Eduquer son coeur

En tant que musulmans engagés, aspirant à un meilleur être moral et spirituel ; nous avons besoin aujourd’hui d’éduquer nos cœurs, de vivre une spiritualité active et de purifier nos intentions afin de goûter la douceur de la foi. Nous avons besoin de retrouver la paix du cœur afin d’avoir un éclairage sur soi et sur le monde.

Le cœur, pour le fidèle soucieux de sa complétude morale et de son accomplissement spirituel, est l’élément central de son cheminement spirituel. Donc, il faut préparer la terre pour qu’elle reçoive la semence, réhabiliter son cœur  pour qu’il s’illumine à la rencontre du message afin de mieux porter la responsabilité du témoignage.

Eduquer son cœur, c’est avant tout l’effort assidu pour goûter la douceur de la présence à Dieu. Le fidèle animé par la foi voue son existence, son action à Dieu jusqu’à ce qu’il porte en lui toutes les vertus de la bonté, de l’humilité.

 

Fortifier sa foi

Aujourd’hui, il est de plus en plus d’être et d’agir. La foi du fidèle à tendance à s’affaiblir au milieu de nos préoccupations quotidiennes. « La foi, dit le Prophète (psl) se détériore à l’intérieur du cœur comme se détériore le tissu. Renouvelez-donc votre foi ! Comment renouvelle-t-on notre foi ? demandèrent les compagnons. Le Prophète (psl) a répondu : Répétez inlassablement cette formule : Il n’y a de Dieu que Dieu :  لا إله إلا الله ».

 

La notion d’Al-Amana en Islam

Une conférence intitulé : la notion d’Al-Amana en islam a été donné par l’imam Omar Mahassine au Centre Tawhid à Lyon le dimanche 21 novembre 2010. Ces deux vidéos reprennent globalement l’importance de ce concept dans le cheminement du musulman.

Qu’est-ce que la Sunna ?

Que veut dire le terme « Sunna »? Que signifie l’expression : « il faut agir conformément à la Sunna » ; « il faut suivre la Sunna »?

  • Au sens étymologique : le terme arabe « sunna » signifie la voie, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Dans le hadith authentique : « Celui (ou celle) qui institue en islam une bonne action, une bonne voie « sunna hasana », aura sa récompense et celle de tous ceux qui l’accomplissent ou l’empreintent après lui. De même que celui qui institue en islam une mauvaise voie « sunna sayyi-a » en supporte le péché ainsi que celui de tous ceux qui l’ont imité ».
  • Au sens terminologique : « La Sunna » désigne toutes les paroles que le Prophète (PSDL) a dites, tous les actes qu’il a accomplis, ainsi que tous las actes et dires d’autrui qu’il a acceptés ou approuvés.

Les paroles du Prophète (PSDL) portent le nom de : « sunna qawliya » la sunna orale et connus par hadîth ou ahadîths au pluriel. Les faits et gestes du Prophète (PSDL) portent le nom de  : « sunna fi’liya » la sunna pratique. Quant aux actes et dires d’autrui agréés par le Prophète (PSDL) portent le non de « sunna taqrîriya », ils consistent en tout ce qui a été dit ou fait par des Compagnons, du vivant du Prophète (PSDL), et qu’il a approuvé.

La Sunna, dans sa globalité, est un mode de vie, une manière d’être pour Dieu et de vivre pari les hommes, une manière de percevoir le monde. Restreindre la  Sunna à un style vestimentaire, à la longueur des vêtements, de la barbe ou encore le siwak, serait une compréhension réductrice et totalement erronée de la Sunna.

L’imitation du Prophète (PSDL) pour ce qui est des actes d’adoration est une obligation pour tout musulman. Ici, il est question de la conduite quotidienne qui révèle la qualité du caractère et la moralité sans faille. Le modèle est aussi modèle de comportement. Sentir comme le Prophète (PSDL), agir et se comporter comme lui, c’est vivre de la foi, goûter la douceur de l’amour et irradier l’amour.