À la rencontre du Coran [conférence]

Conférence donnée dans le cadre de Bible-Expo Mantes la Jolie en Octobre 2013 sous le titre :  Juifs, Chrétiens et Musulmans devant leurs Ecritures

 Objectif de la conférence : offrir aux auditeurs une présentation aussi claire que possible de la manière de comprendre et de recevoir les écrits sacrés dans chacune des trois religions. (par « Ecritures » ou « saintes Ecritures », on entend toujours les textes sacrés auxquels se réfère chacun dans sa propre religion)

 À la rencontre du Coran 

coran

Présentation :

Définition : Le mot Coran signifie : la Récitation, la Lecture, la lecture par excellence.       « Le Coran est la parole de Dieu, révélée à Son Messager Mohammed (PSDL), par l’intermédiaire de l’ange Gabriel durant 23 années, en langue arabe claire et explicite, c’est par sa lecture qu’on adore Dieu ».

Selon la tradition musulmane, le texte du Coran a été élaboré en trois étapes principalement. La 1ère étape : celle de la constitution du texte a été réalisée à l’époque de la vie du Messager de Dieu (PSDL). C’était d’abord une tradition orale mais déjà, sur recommandation du Messager, des scribes, un des plus connus Zayd Ibn Thabit, choisis par lui transcrivaient les versets révélés sur tous les matériaux à disposition, les omoplates de chameaux ou toute autre sorte de support. Pendant 23 années, l’ange Gabriel transmit le texte au Messager de Dieu (PSDL) et chaque année, durant le mois du Ramadan, il venait lui faire réciter l’ensemble du texte révélé jusqu’alors. Lors de la dernière année de la vie du Messager, l’ange Gabriel le lui a fait réciter deux fois dans l’ordre et sous la forme que nous connaissons aujourd’hui. 2nde étape : après la mort du Messager (PSDL) et particulièrement en 633 qui a vu la mort de plus de 70 personnes connaissant le Coran par cœur, il a été décidé sur suggestion de Omar Ibn Khattab (2ème calife) qu’il fallait réunir les feuillets épars et constituer un texte complet. Ce sera le premier mushaf (réunion de feuillets) qui sera déposé chez une femme, Hafsa, fille de Omar. 3ème étape : le 3éme calife Othman, en 653 20ans après la mort du Messager de Dieu (PSDL), voyant avec la dispersion des musulmans, que les lectures commençaient à diverger, a fait copier des exemplaires du Coran à partir de l’original de Hafsa et les a fait distribuer dans l’ensemble du territoire musulman en exigeant que ce texte soit désormais la référence. Un exemplaire de la copie de Othman lui-même est aujourd’hui en Turquie et daterait des années 650. Des expertises ont confirmé le caractère plausible de cette datation. Il existe une autre copie , celle de la Bibliothèque nationale égyptienne qui daterait de l’an 688, soit 56 ans après la mort du Messager de Dieu (PSDL).

La place éminente du Coran dans la foi musulmane :

Le Coran, pour le fidèle musulman, est un bien si précieux qui fait partie de son être le plus intime. Pour les musulmans, le Coran est le Texte de référence, la Source et l’Essence du message que Dieu a fait parvenir à l’humanité. Le Coran révèle, dévoile et oriente : il est une lumière (an-nûr) qui répond à la quête de sens inscrite dès l’origine dans l’intimité de chaque cœur. Le Coran enseigne aux consciences que la vie a un sens.

Le Coran comme révélation aux hommes, comme sens apporté à leur vie, est d’abord un discours, un langage humain pour des hommes qui parlent. Parce que, au VIIème siècle de l’ère commune, le messager choisi a été un homme vivant en Arabie, le message a été délivré en arabe ( comme, par le passé, il avait pu être délivré en hébreu par Moïse et en araméen par Jésus ). Mais ce qui importe, c’est le message dans l’élément du langage humain.

Pour celle ou celui qui a reconnu la Présence de Dieu et dont le cœur a embrassé l’islam, le Coran, parole de Dieu, parle à son être, à sa conscience, à son cœur intimement et sans intermédiaire et lui montre le chemin de l’amour de Dieu et de Sa proximité : « Voici Le Livre, il ne s’y trouve point de doute ; il est une Voie pour celles et ceux qui ont acquis la conscience de Dieu. » [2/2].

Plus qu’un texte, Le Coran est source de vie, d’énergie, de réflexion, qui marque notre façon de nous tenir dans le monde, qui façonne et imprègne notre intelligence comme notre sensibilité. Le Coran, qui est une invitation au dialogue lancée par Dieu au cœur de chacun.  Sourate Prologue. Un dialogue, intense, permanent, toujours renouvelé entre un Livre qui dit l’infinie simplicité de l’adoration de Dieu et un cœur qui exprime l’intense effort pour se libérer, aller à Sa rencontre et goûter la douceur de Sa présence et Sa proximité.

Le Coran appartient à toute l’humanité, au même titre que tous les livres qui ont donné du sens et de la cohérence à l’humanité, qui ont nourrit et enrichis l’âme et l’intelligence.

Le Coran est la propriété de chacun, sans différence, sans hiérarchie… Dieu, sans distinction, vient à celui qui vient à Son Verbe. Dieu est à proximité : « Si Mes créatures t’interrogent à Mon sujet, qu’ils sachent que Je suis tout près d’eux, toujours disposé à exaucer les vœux de celui qui M’invoque » [2/186].

Amélie Neuve-Eglise, intéressée par le Coran, le qualifie d’une vocation universelle : « Cependant, bien que la langue de la Révélation soit l’arabe, le message même contenu dans le Coran a une vocation universelle, et est donc destiné à être transmis à des populations non arabes ou arabisantes. Le verset 21/107 fait ainsi part de la dimension globale du message coranique :  » Et Nous ne t’avons envoyé que comme miséricorde pour l’Univers ».»

Le Coran parle à tout être humain et l’invite à se confronter au texte : « Ne méditent-ils donc pas le  Coran ? S’ils provenait d’un autre que Dieu, ils y trouverait certes maintes contradictions » [4/82]. Il s’agit que chacun ou chacune puisse se saisir du texte et y trouve une parole libératrice.

Beaucoup de gens, croyants ou non croyants, quand ils lisent le Coran, ils y cherchent des « vérités » tangibles tels que un et un font deux. Ou encore, ils veulent y trouver des « solutions » ou des « recettes » toutes prêtes concernant leurs questions et leurs problèmes concrets et immédiats. Or ce n’est pas la vocation du Coran ! Comme toute parole de Dieu d’ailleurs. Le Coran veut ouvrir à des vérités infinies et non point « finies », des vérités essentielles : celles qui concernent le sens de l’existence, la vie, la mort, la vie future… Le Coran s’inscrit, ainsi, dans une logique de l’essentiel. Il ne cherche pas à être immédiatement « utile » : il se veut « essentiel ». La force du Coran, en réalité, c’est que c’est un texte qui, par les questions essentielles qu’il pose, ne cesse d’interroger l’homme. Donne-t-il les réponses ? Il nous incite surtout à en trouver nous-mêmes, dans notre contexte à partir de tous les indices qu’il peut contenir.

Le défi de traduire :

Histoire de la traduction du Coran en français : André du Ryer a traduit pour la première fois le Coran en français en 1647, avec un tel succès qui a été suivi par sa traduction en plusieurs langues. Claude Savary l’a traduit de nouveau, six ans avant la Révolution française. Cette traduction à son tour a été à maintes reprises rééditée jusqu’au 20ème siècle. En 1840, Kazimirskyi, un aristocrate d’origine polonaise qui maîtrisait l’arabe ainsi que le persan s’est donné à la traduction du Coran, première traduction qui a été utilisée comme référence par des étudiants et des chercheurs. Par conséquent elle a connu plusieurs éditions. Pendant près d’un siècle, cette traduction reste la seule à servir de référence et d’autres traductions comme celles de Monet, de Pesle et de Tidjani n’arrivent pas à la rivaliser. Mais après un siècle, Blachère traduit le Coran et publie sa traduction, d’abord en 1951 et ensuite en1957. La caractéristique de cette traduction est qu’elle est issue des ressources de différentes écoles philologiques européennes. En outre, Blachère, considéré comme un excellent arabophone, a rédigé un manuel de grammaire arabe, utilisé en tant que référence dans les Universités françaises. Dans sa traduction, il a essayé de respecter la forme et la structure des phrases mais n’a pas réussi à retranscrire la beauté de la forme originale. Il n’a pas cité les différentes exégèses réalisées par les musulmans, facilitant la compréhension de leur livre sacré. De même, il a établi des comparaisons entre le Coran et la Bible. On a la traduction du poète Jean Grosjean en 1972 et de René Khawan en 1990, traductions dans lesquelles la forme du texte original a été respectée. Professeur Hamidullah, musulman indien, maîtrisant le français, a traduit le Coran en français vers 1959. Une traduction différente des autres de ce point de vue qu’elle comporte la tradition des écrits musulmans. De même, d’autres musulmans comme Hamza Boubakeur en 1972, Sadok Mazigh en 1980 et Salah Ed-din Keshrid en 1981 ont publié des traductions du Coran accompagnées de commentaires éclairants puisés dans diverses exégèses.  En 1990, André Chouraqui a traduit d’abord le Coran en hébreu et ensuite en français.

Derniers essais de traductions du Coran : De nos jours, on trouve davantage de traductions du Noble Coran renfermant divers aspects d’une traduction intégrante comme la fidélité au texte, la beauté du style et la considération des commentaires coraniques, comme celle de Jacques Berque publié en 1990. En plus, il y a des Français arabisants et convertis à l’Islam comme Yahya ’Alawi (Christian Bon) qui a commencé à traduire le Coran en collaboration de feu Javâd Hadidi. Ils ont essayé de présenter une nouvelle traduction dans le tome premier de « Voilà le Livre » paru en l’an 2000 comportant la traduction des deux premières sourates du Coran. Pourquoi une nouvelle traduction ? « La raison principale vient d’ailleurs de la parole de Dieu. Dans la sourate 54 (dite al-qamar : la Lune), à quelques versets d’intervalle, Dieu répète à quatre reprise : « Et certes nous avons fait le Coran aisé pour que l’on se rappelle : y aura-t-il alors quelqu’un qui se rappelle ? » (versets 17, 22, 32 et 40). Cette idée de « rappel » est fondamentale dans le Coran, où elle est représentée au moins par quelque 280 termes dérivés de la racine dkr.»(Alawi et Hadidi, 2000: 9) Selon les auteurs, le Coran est avant tout pour rappeler aux hommes leur entité, leur essence, ainsi que leur raison d’être dans ce monde et leur mission. Pour quoi l’homme a été créé.

La traduction n’est pas le texte original et nulle traduction n’est parfaite. Le Livre a été révélé en « une langue arabe claire» et pour tous les musulmans du monde, l’arabe est bien la langue du Coran. Il faut néanmoins éviter de confondre ce consensus sur la langue avec l’idée que la culture arabe serait la culture de l’islam. Il n’en est rien.

Certainement, en arabe, langue du Coran, la méditation sera plus approfondie et toute traduction ne peut pas être la parole divine ; mais tout de même, cette traduction doit pouvoir refléter les éclats de cette parole sacrée et c’est la raison pour laquelle MM. Alawi et Hadidi ont fait une nouvelle traduction du Coran : « Il faut bien d’abord avoir entendu l’appel et y avoir répondu. Or, cet appel, qui doit interpeller l’homme et susciter en lui l’éveil, ne peut être entendu par chacun que dans une langue qui est sienne. Le devoir de transmission du Message est donc aussi, au moins dans une certaines mesure, devoir de traduction, car on ne peut transmettre à quelqu’un que dans une langue qu’il comprend, faute de quoi on n’aurait rien transmis. » (Ibid.10).  La sainte sourate Abraham, verset 4 confirme ces réflexions : « Et nous n’avons envoyé de messager qu’avec la langue de son peuple, afin de les éclairer… ».

André Miquel, professeur au Collège de France ainsi que le directeur de la Bibliothèque Nationale qui a traduit une sourate du Coran, une traduction accompagnée d’études et de commentaires, dans son ouvrage L’Evènement, Le Coran : sourate LVI, croit que « La langue du Coran est d’une densité que l’on aura bien du mal à faire passer dans la langue de Voltaire : la précision analytique du français se dérobe devant les ellipses et les raccourcis d’un discours synthétique, riche de sens superposé. Et que faire avec les sonorités, les rythmes, les rimes et les assonances d’un texte qui est par excellence al-Qur’ân : La Récitation. » (1992 : 8). Et sur le plan linguistique, il continue : « Le discours coranique ne se laisse réduire ni aux critères de la prose arabe ni aux contraintes de sa poésie. La langue du Coran seule de son genre et pour cause, puisque divine, […] Rimée ou assonancée, sans doute, mais librement de toute la liberté de Dieu, […] Scandée aussi, mais en vertu de sa propre logique, d’une logique d’un autre ordre, transcendante. […] Pas de texte plus souverain, plus libre de toute contrainte, de tout modèle, que celui-là. » (Ibid. 389-390).

Abou Hamed Al-Ghazali dit dans son livre Mishkat Al-anwar : «  la lecture littérale (qui s’arrête à l’extériorité du terme) sans lecture spirituelle, intérieure (qui s’interroge sur le sens profond) est une mutilation du Message ».

  • Voici un exemple pour illustrer mes propos à ce sujet : La sainte sourate « la pureté », la 112ème sourate, dans le deuxième verset dit : « Allahosamad ». Hamidullah l’a traduit comme suit : Dieu, l’Absolu. Le Coranpublié en Arabie saoudite en 2000 appelle cette sourate : « le monothéisme pur » avec cette explication que c’est un titre résumant le contenu de la sourate. Il traduit le mot « samad » : Le Seul à être imploré pour ce que nous désirons. Si l’on cherche dans d’autres traductions du Noble Coran on trouvera évidemment d’autres traductions. Mais le mot « samad » en arabe veut dire celui qui n’a besoin de rien et de personne alors que tout a besoin de lui. La composition de « Allahosamad » du point de vue syntaxique en arabe évoque cette conception que seul et seul Allah se dote de cette caractéristique. Dans cette perspective, la meilleure traduction ayant le pouvoir de transférer le message exact et intégrant serait à mes yeux : « Allah n’a besoin de rien ni de personne alors que tout a besoin de lui ».
  • “ Les hommes assument [qawwâmûna] les femmes […] Les femmes vertueuses [qânitât] sont dévouées à Dieu […] Quant à celles dont vous craignez l’hostilité [nushûz], exhortez-les, puis faites lit à part et, enfin, éloignez-vous d’elles [wa-dribûhunna] […] Et si vous craignez le désaccord entre les deux faites alors appel à un arbitre de la famille de l’époux et un de la famille de l’épouse. Si le couple souhaite au fond la réconciliation, Dieu rétablira l’entente entre eux…” S4.V34-35.
  • les Arabes de l’époque utilisaient le terme de harth pour tout ce qui était riche et fertile, tout ce qui était productif et fécond. C’est ainsi qu’en traduisant harth par  sa véritable signification « source de vie » au lieu de « champ de labour », c’est tout le sens du verset qui change et on aura ainsi :   « Vos femmes sont pour vous –harth-  la source de la vie et de la richesse  allez donc à cette source comme vous l’entendez (librement) (faatou harthoukoum ana chiitoum)». Ce qui rejoint toute la philosophie du Coran par rapport aux femmes, à la notion du couple et à l’harmonie de la vie à deux.

« Au-delà des buts spirituels, la traduction du texte coranique est également essentielle pour les chercheurs ainsi que tout ceux désirant mieux connaître l’Islam et développer le dialogue interconfessionnel. »(Ibid.2).

1

Sources :

    1. Lire le Coran aujourd’hui, Lettre parue in « Lettres à un jeune marocain », choisies et présentées par Abdellah Taïa, Editions Le seuil, août 2009. Par Rachid Benzine, http://www.lvn.asso.fr/spip.php?article1023

    1. Le Coran et le cœur : vers une symbiose spirituelle, Sept. 2011, http://oumma.com/Le-Coran-et-le-coeur-vers-une
    1. Lire le Coran autrement ? Par Rachid Benzine,  août 2013,  http://oumma.com/Lire-le-Coran-autrement-partie1
    1.  Chodkiewicz Michel. Les musulmans et la Parole de Dieu. In: Revue de l’histoire des religions, tome 218 n°1, 2001. pp. 13-31. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_2001_num_218_1_1014
    1. Arnaldez Roger. L’oeuvre de Fakhr al-Dīn al-Rāzi, commentateur du Coran et philosophe. In: Cahiers de civilisation médiévale. 3e année (n°11), Juillet-septembre 1960.

      http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ccmed_0007-9731_1960_num_3_11_1153

    1. Monnot Guy. R. Arnaldez. Trois messagers pour un seul Dieu. In: Revue de l’histoire des religions, tome 202 n°4, 1985.

      http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1985_num_202_4_2690

  1. Autour de l’histoire de la rédaction du Coran, Mohamed Ali Amir-Moezzi

    http://fr.scribd.com/doc/156572075/Moezzi-Autour-de-l-Histoire-de-La-Redaction-Du-Coran#scribd

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *