Archives mensuelles : janvier 2017

Aimer et se sentir aimer

amour

Notre monde actuel traverse une crise sans précédent. Les injustices s’accentuent, les inégalités se creusent davantage, les guerres ne font qu’amplifier les exclusions et  les déchirements. Une crise qui interpelle la conscience humaine à assumer ses responsabilités, à y faire face, humblement mais résolument, à agir et ne plus subir.

Face à ce monde violent, nous avons besoin de vivre l’amour, de donner pour recevoir. Aimer et se sentir aimer est une grâce de Dieu. L’amour véritable est un des moyens les plus efficaces pour assainir ce climat délétère de haine, de violence et de rancune qui règne dans notre monde. L’amour véridique est capable de surmonter les obstacles et surpasser les situations critiques.  Nous avons besoin de proclamer notre amour sincère, pur et désintéressé à nos parents, à nos épouses, à nos époux, à nos enfants, à nos proches et à tous frères et sœurs en humanité.

Je ne parle pas d’amour volatile et artificiel, basé sur les intérêts qui ne dure pas le temps d’une étincelle mais il s’agit d’amour sincère animé par une foi, par une éthique. S’aimer en Dieu et aimer uniquement pour l’amour de Dieu.

Pourquoi s’aimer en Dieu ? Quelles sont les raisons et les motivations qui nous incitent à nous aimer en Dieu ? Certes, la foi implique de s’aimer les uns les autres en Dieu et pour Dieu ; le Prophète (PSDL) a dit : « Trois sentiments font goûter à celui qui les éprouve la douceur de la foi : aimer Dieu et Son Messager plus que toute autre chose, aimer son frère (sa sœur) uniquement pour l’amour de Dieu et détester revenir à l’infidélité à Dieu comme l’on déteste se voir jeté au feu »[1].

Aimer en Dieu sans compter, sans rien attendre en retour, ni récompense, ni gratitude c’est se rapprocher de Lui et goûter à Son amour et à Sa présence. Le Prophète (PSDL) dit en attribuant ces paroles à Dieu : « Mon amour est réservé à ceux qui s’aiment en Moi, à ceux qui se conseillent en Moi, à ceux qui se rendent visite en Moi, à ceux qui se font des dons pour Moi. Ceux qui s’aiment en Moi occuperont (dans la vie dernière) des chaires en lumière, ils seront enviés, tant est élevé leur position, par les Prophètes et les Justes »[2].

S’aimer en Dieu n’est pas une simple prétention, ni une vaine formule de principe. S’aimer en Dieu c’est visiter son prochain, le soutenir dans l’épreuve, lui porter assistance, apaiser son coeur par un sourire. L’amour en Dieu se traduit aussi par le don  d’argent et de temps comme gage de véracité. Les simples actes de solidarité quotidiens ne demandent pas un grand effort, ni immense investissement, mais ils revêtent auprès de Dieu une importance considérable.

Aimer en Dieu en écoutant l’autre et lui ouvrir son cœur. Tendre la main au désespéré et le rassurer, compatir avec le malade, soutenir l’opprimé face à l’injustice, essuyer les larmes de l’incompris, apporter la joie au cœur triste et pardonner à celui qui s’est montré injuste à notre égard ; en toute humilité. Alors seulement,  nous avancerons en vertus et nous gagnerons en amour, douceur, spiritualité et surtout en humanité. Le Prophète (PSDL) nous enseigne comment faire « assaut d’amour » : « De deux personnes qui s’aiment en Dieu, la plus aimée de Dieu est celle qui aime le plus l’autre »[3].

Il faut, également, prendre le temps de discuter d’amour avec nos enfants et leurs montrer qu’on les aime, le sujet de l’amour n’est pas tabou. Il faut leurs apprendre le véritable amour, notamment, l’amour de soi et l’estime de soi. S’aimer soi même, c’est s’accepter tel qu’on est, c’est prendre soin de soi, c’est être en paix avec soi, c’est se respecter et ne se comporter n’importe comment ni faire faire n’importe quoi, c’est prendre conscience de ses responsabilités et ne pas se dévaloriser.

En ce qui concerne l’amour conjugal, le Prophète (PSDL) vouait à son épouse ‘Aîcha (DAS) un amour infini et ne manquait aucune occasion pour le proclamer et le lui prouver. ‘Amr Ibn Al-Âç (DAS), un des célèbres compagnons du Prophète (PSDL), lui demanda un jour :

  • «  Ô Messager de Dieu ! Quel est la personne que tu aimes le plus ?»
  • Le Prophète (PSDL) a répondu : « ‘Aîcha».
  • « Non, mais parmi les hommes ?» redemanda le compagnon.
  • «  Son père !» a répondu le Prophète (PSDL).[4]

‘Aîcha (DAS) aimait entendre le Prophète (PSDL) lui manifester son amour. Elle l’interrogeait parfois : « Comment est ton amour pour moi ? ». « Fort et solide comme l’anneau d’une corde » répondait le Prophète (PSDL). Puis de temps en temps, elle lui disait : « Comment est l’anneau ? », il lui répondait : « toujours inchangé ! »[5].  

 

 

[1] Rapporté par Boukhari et Moslim.

[2] Rapporté par Ad-Daraqotni, Abou Naîm dans al Hilya et Abou Tammam dans Al Fawa’îd.

[3] Rapporté par Ibn Hibbâne et Al-Hakem selon Anas (DAS).

[4] Hadith unanimement reconnu authentique rapporté selon Anas (DAS).

[5] Rapporté par l’imam Ahmed, Tabarani et Al-Hakem selon ‘Oubada Ibn As-Samet (DAS).

 

Savoir s’entourer pour réussir son épanouissement spirituel

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Nous vivons une époque où il est de plus en plus difficile d’être et de témoigner. La foi du fidèle est mise à rudes épreuves. Il faut un effort sans relâche et une détermination sans faille pour sauvegarder une fidélité, en toute circonstance, à son référentiel spirituel.

Pour s’épanouir dans sa foi, la fortifier et la consolider il faut être bien entouré.  Savoir s’entourer de bonnes personnes, de compétences, tant en compétence morale qu’en compétence technique, est primordial pour avancer, grandir moralement et spirituellement et atteindre son plein potentiel. Le Prophète (PSDL) a dit : « Chacun a la même intensité de foi que son ami le plus intime. Choisissez donc vos amis avec soin »[1].

Dans un autre hadith, le Messager de Dieu (PSDL)  dit encore : « Je compare le bon et le mauvais Compagnon au colporteur de musc et au forgeron. Le premier, si vous le fréquentez, finira par vous donner ou vous vendre une partie de sa marchandise, et de toute façon vous sentirez le parfum. A fréquenter le second, vous ne manquerez pas soit de voir vos vêtements brûler, soit de sentir auprès de lui les mauvaises odeurs »[2].

La prière, la lecture du Coran, les assises de la foi et du savoir comme les autres activités de présence à Dieu, sont plus efficientes si elles s’accomplissent en groupe. La dynamique de groupe a une vertu particulière sur l’individu et son comportement. Ibn ‘Ata Allah Al-Iskandari dit dans ses paroles de sagesse : « Ne prends pas comme compagnon celui dont l’état spirituel ne te conduit pas à l’élévation, et dont la parole ne t’oriente pas vers Dieu. ».

Cette sagesse nous donne des critères précis pour être bien entouré : la meilleure des compagnies est celle qui est proche de Dieu avec son cœur et proche des hommes avec sa douceur et son humilité, représente pour nous un modèle à suivre. Sa parole nous rappelle inlassablement Dieu.

Anas ibn Malek rapporte que Abdallah Ibn Rawaha, disait chaque fois qu’il rencontrait un autre compagnon : « Vient que nous pratiquions l’iman (la foi) un moment ! ». Un jour, il fit cette invitation à un homme qui se fâcha et vint trouver le Prophète (PSDL) :    « Ô Messager de Dieu, lui dit-il, ne vois-tu pas cet Ibn Rawaha qui nous invite à des assises de la foi d’un moment ? ». Le Prophète (PSDL) a répondu : « Que Dieu garde Ibn Rawaha ! Il aime les assises où les anges font compétition pour y assister. »[3].

Fréquenter les personnes pieuses et engagées, cultiver de bonnes relations avec les meilleurs moralement et spirituellement,  afin d’être constamment tiré vers le haut, réformer son cœur par le biais des assises de Dhikr et aspirer à être meilleur; meilleur  devant Dieu, humble devant les êtres humains.

‘Abd Al-Qâder Al-Jîlânî a dit : « Fréquente assidûment les séances des savants et rend souvent visite aux hommes pieux, peut être ton cœur sera-t-il vivifié ? »[4].

Goethe disait : « La bonne compagnie instruit par sa conversation et forme par son silence. »[5].

 

[1] Rapporté par Tirmidhi et Abu Dawud selon Abous Hourayra (DAS).

[2] Rapporté par Boukhari et Muslim selon Abu Mûssa Al Ash’âri (DAS).

[3] Rapporté par l’imam Ahmed selon Anas.

[4] Extrait du Livre «  Al-Fat’h ar-rabbânî wa al-fayd ar-rahmânî « , de ‘Abd Al-Qâder Al-Jîlânî.

[5] Citation de Goethe ; Maximes et réflexions (1749-1832).

De quoi le djihad est-il le nom ?

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Article publié initialement le 10/02/2015 dans le Plus du nouvel Obs :

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1319056-le-djihad-une-guerre-sainte-non-ce-mot-renvoie-surtout-a-la-notion-d-effort-sur-soi.html

Depuis le 11 septembre 2001, l’amalgame entre islam et terrorisme est systématique. L’islam est ainsi considéré comme une religion viscéralement violente et guerrière.

Déconstruire les préjugés 

Un ensemble de mots avec le suffixe « isme » qualifie l’islam aujourd’hui. Terrorisme, fondamentalisme, obscurantisme, radicalisme, djihadisme… Une guerre des mots est utilisée à l’égard de la religion musulmane afin de façonner l’inconscient des masses et d’assigner l’islam au registre des pathologies.

Ce texte se propose d’engager une réflexion sur le vrai sens du mot djihad en islam. D’autant plus, que le discours djihadiste prolifère aujourd’hui de manière inquiétante et que terrorisme et islamophobie font bon ménage dans notre contexte.

Un certain nombre de clichés négatifs et de fausses évidences existent à l’endroit de l’islam et des musulmans. Ces préjugés résultent d’une méconnaissance de la religion musulmane, de sa pensée et sa vocation de paix et de tolérance. Cependant, pour déconstruire ces préjugés et éviter de tomber dans une vision essentialiste, il est nécessaire de définir les concepts d’islam, d’une part, et de djihad, d’autre part, et le replacer dans un contexte à la fois historique et politique.

 

Que veut dire le mot djihad aujourd’hui ?

Le djihadisme est-il une forme islamique du terrorisme ? Le djihadisme  est-il l’avatar de l’islam ? La violence est-elle intrinsèque à l’islam ? L’islam est-il un élément perturbateur pour la paix dans le monde ? Autant de questions qui exigent des réponses claires et audibles.

Comme le souligne Mohammed Arkoun[1], en français, on a l’habitude de traduire le mot islam par soumission. Or, étymologiquement, islam, en langue arabe, signifie  » livrer quelque chose à quelqu’un « . Il s’agit donc, de  » livrer sa personne dans sa totalité à Dieu, confier toute sa personne à Dieu « . Ainsi la religion musulmane implique le don de soi, plutôt que la soumission.

 

Nulle contrainte en religion

Le mot islam a également pour racine étymologique « salam » qui signifie paix. La paix est central, dans le Coran : « Ô vous qui croyez, entrez tous et toutes en paix »[2]. Être en paix et promouvoir la paix relèvent de l’ordre du sacré.

Parallèlement, un des quatre-vingt-dix-neuf noms glorieux de Dieu est  » Paix  » et, cinq fois par jour, le musulman invoque Dieu par cet attribut dans sa prière. L’état de paix résulte d’un lien intime entre l’homme et Dieu et d’une forte spiritualité.

L’islam étant défini, étudions maintenant son lien avec la violence, en particulier la notion de djihad.

Le mot djihad est souvent traduit par  » Guerre Sainte  » ou  » Holly War  » ; or   » la guerre sainte  » traduit, à son tour, en langue arabe, veut dire  » Al Harb al-Mouqaddassa « . Cette terminologie n’existe nulle part, ni dans les textes fondateurs de l’islam, ni dans la littérature musulmane.

Il y a une vision erronée qui considère le djihad en islam à travers le prisme historique des croisades médiévales. L’idée d’une guerre sainte engageant les musulmans, au nom de leur foi, dans une guerre de conquête afin de contraindre les gens à se convertir n’existe pas en islam. Le Coran interdit la contrainte en matière religieuse : « Nulle contrainte en religion »[3] .

La foi musulmane, aussi ardente et sincère qu’elle puisse être, ne saurait rayonner et se propager par la force, car cela contredirait l’essence même du message.

 

Le djihad : faire effort sur soi

Le djihad vient du mot  » ja-ha-da « , qui signifie faire effort et, en aucun cas, faire violence. Cet effort consiste, en effet, à réaliser une victoire sur soi, qui est la plus royale des victoires. Un effort contre sa propre violence et ses attitudes colériques. Ce djihad, appelé couramment « djihad an-nafs  » :  » l’effort sur soi « , est au centre de la spiritualité musulmane. C’est grâce à cette persévérance que l’homme maîtrise sa violence, domine sa colère et s’élève moralement et spirituellement.

Certes, le djihad peut prendre la forme d’un effort armé : Al Qitâl. Mais cet effort a toujours été codifié par des règles strictes.

Le combat armé n’est autorisé qu’en cas d’autoprotection ou légitime défense. Ainsi, les musulmans, pendant 13 années à la Mecque, ont utilisé la non-violence comme moyen de résistance malgré les persécutions, l’isolement et l’embargo social et économique.

Puis, à leur arrivée à Médine, ils ont eu la permission de Dieu de se défendre : « Toute autorisation de se défendre est donnée aux victimes d’une agression, qui ont été injustement opprimées, et Dieu a tout pouvoir pour les secourir. Tel est le cas de ceux qui ont été injustement chassés de leurs foyers uniquement pour avoir dit : Notre Seigneur est Dieu ! »[4].

À partir de ce verset coranique, la guerre a certes été autorisée, mais dans trois conditions :

  1. En cas de légitime défense, si tous les moyens pacifiques n’ont pas réussi à stopper l’agression
  2. En cas de persécution, de spoliation des propriétés
  3. Pour libérer des peuples du joug de la dictature.

 

Pas une goutte de sang

Omar Ibn Al-Khattab (DAS), deuxième calife après le Prophète Mohamed (PSDL) a libéré Jérusalem de l’occupation byzantine sans qu’aucune goutte de sang ne soit versée.

Salah Stétié explique dans son livre  » Culture et Violence en Méditerranée «  : « L’islam ne s’est vraiment imposé – une première fois par l’entrée du calife Omar dans la Ville sainte (Jérusalem) en 636, une seconde fois par la reconquête de la ville sur les croisés par Saladin en 1187 – que d’avoir géré pacifiquement, sur des siècles, l’ensemble de l’héritage. […] Les chrétiens de Jérusalem, comme ceux de Syrie et plus tard ceux d’Egypte, ont reçu les Arabes en libérateurs au témoignage de tous les historiens chrétiens de l’époque »[5] .

Un autre exemple intéressant est celui de l’émir Abdel Kader, héros de la résistance algérienne, qui a lutté vaillamment contre la colonisation française. Mais, établi dans la capitale syrienne, Il joua un rôle de premier plan lors des émeutes de 1860. L’émir sauva, au nom de la foi musulmane, des milliers de chrétiens du massacre. Sa conduite lui vaudra de nombreux témoignages de reconnaissance et des décorations[6].

Donc le djihad renvoie à la notion d’effort : effort sur soi, effort de savoir et de connaissance, effort de développement … Et en aucun cas, une idéologie qui, se revendique de l’islam mais trahit, fondamentalement, sa vocation de paix et de justice, et préconise le terrorisme et les assassinats comme outils de lutte.

Le Coran déclare : « Quiconque porte atteinte à un innocent, c’est l’humanité toute entière qu’on remet en question »[7].

 

Le terrorisme n’a pas de religion

Le texte sacré est une chose, la lecture et l’interprétation qu’en font les hommes en est une autre. Les textes sacrés peuvent être instrumentalisés par les extrémistes de toute sorte.

L’islam est-il par essence violent ? Le Coran incite-t-il à la violence ? Ou bien ce sont les hommes qui prennent prétexte de tout, y compris du nom de Dieu, du Prophète et du Coran pour justifier et légitimer leur propre violence et leur propre fanatisme ?

Il est important de souligner que le terrorisme n’a pas de religion. Mais ce qui interpelle aujourd’hui, ce sont les moyens de communication utilisés par les djihadistes pour donner une résonnance planétaire à leur doctrine, attirer un jeune public et l’embrigader.

Les djihadistes utilisent internet, notamment les réseaux sociaux, et diffusent des vidéos prêchant la haine. Les jeux vidéo comme « Call of Duty » sont aussi utilisés pour charmer de jeunes candidats au djihad. Il faut noter également  que le djihadisme est attractif pour des individus en rupture avec la société, avec leurs familles, ou en détresse psychologique.

 

Face à la violence du rejet, il y a la violence du djihadisme

Face à la violence du rejet, il y a la violence du djihadisme. Pour des jeunes sans repères, le djihadisme devient une carrière.

Face à de tels phénomènes, aux conséquences aussi graves pour notre société, nous devons nous engager à favoriser le dialogue et l’enrichissement mutuels, à refuser les amalgames et à lutter contre toute idéologie prêchant la violence, incitant et légitimant des crimes terroristes.

Nous devons également favoriser l’éducation et la participation citoyennes de manière à éliminer les conditions qui favorisent la prolifération de la violence et de la pensée extrémiste.

 

[1] M. Arkoun, Ouvertures sur l’islam, Grancher, 1992, p. 35.

[2] Coran : S. 2, V. 208.

[3] Coran : S. 2, V. 256.

[4] Coran : S. 22, V. 39 – 40.

[5] Salah Stétié, Culture et Violence en Méditerranée, 2008, Imprimerie nationale éditions, p. 128.

[6] « L’émir et les chrétiens », Conférence du 7 décembre 2004 à Lyon de Mgr TEISSIER et de M. BOUTALEB.

[7] Coran : S. 5, V. 32.